Mohamed Merah : pourquoi il n’a pas été arrêté plus tôt

Une fois l’infraction connue par la police ou la gendarmerie, il s’agit d’en trouver l’auteur. Les forces de l’ordre y parviennent dans un peu plus d’un tiers des cas. Sur 4 millions d’infractions, seules 1,4 million sont jugées « poursuivables », parce qu’un auteur a été identifié. Les autres sont classées sans suite.

 

 

Le taux d’élucidation, qui indique la proportion d’affaires résolues, s’élève à 37 % en moyenne. Mais il varie énormément selon les infractions. Il est au plus bas pour les cambriolages (13 %) et au plus haut pour les homicides (87 %). Mais il faut garder en tête que ce taux est calculé à partir des plaintes déposées, et non à partir de la réalité des crimes et délits commis. Ainsi, le taux d’élucidation du viol paraît globalement satisfaisant (73 %), mais le nombre de viols réellement élucidés est beaucoup plus faible si l’on se rappelle que seules 5 à 25 % des victimes portent plainte. Cela signifie qu’un viol ne donne lieu à des poursuites judiciaires que dans 10 % des cas environ.

Dans le cas des cambriolages, c’est l’inverse : lorsque des objets ont été volés, le taux de plainte est élevé (75 %), mais le taux d’élucidation est faible (13 %). Toutefois, le résultat est le même, avec un taux d’élucidation réel des cambriolages inférieur à 10 %. Ce qui signifie que moins d’un cambriolage sur dix fait l’objet de poursuites judiciaires.

L’impunité est donc la règle, en matière de viol, de cambriolage et de bien d’autres infractions. Mais s’il en est ainsi, la minorité de criminels et délinquants arrêtés et traduits devant les tribunaux ne serait-elle pas, d’une certaine manière, « malchanceuse » ? Non, ce sont bien souvent, au contraire, les malfaiteurs les plus actifs. Car une des réalités criminologiques les mieux établies, valable pour les cambriolages, les agressions, les braquages ou même les viols, est qu’une petite minorité d’individus est responsable de la majorité des crimes et délits commis. Il existe ainsi un petit nombre de cambrioleurs « professionnels » qui réalisent plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de méfaits par an. Le taux d’élucidation réel étant inférieur à 10 %, celui qui commet un cambriolage unique a environ une chance sur dix d’être arrêté.

Mais celui qui en commet plusieurs dizaines à toutes les chances de se retrouver un jour ou l’autre devant la Justice. Cette règle vaut pour la plupart des crimes et délits. Ce qui signifie, et c’est un élément qui passe souvent inaperçu, que les individus identifiés par la police et déférés devant la Justice sont beaucoup plus souvent des individus ayant déjà commis plusieurs infractions non élucidées que des individus ayant commis une seule et unique infraction et ayant eu la « malchance » d’avoir été arrêtés dès celle-ci.

Lorsque la Justice a affaire à un individu « bien connu des services de police », le nombre d’infractions qui lui est attribué a toutes les chances d’être nettement en dessous de la réalité. Et s’il n’est condamné qu’à une sanction symbolique, il sortira immanquablement du tribunal avec un sentiment d’impunité.

Pourtant, la procédure permet d’échapper à une véritable sanction à tous les niveaux. Parmi les 1,4 million d’infractions élucidées, 12 % sont encore « classées sans suite » par le procureur de la République. C’est le cas lorsqu’il estime que les preuves ne sont pas suffisantes, que le trouble causé par l’infraction a disparu ou, tout simplement, que la gravité des faits ne justifie pas de mobiliser la Justice.

 

L'exemple de Mohamed Merah

En réalité, les plaintes classées sans suite peuvent concerner des infractions relativement graves. Un exemple « banal » de plainte restée sans suite a été révélé au grand jour lorsque l’auteur de l’infraction s’est fait connaître de la France entière pour des crimes effroyables.

Il s’agissait de Mohamed Merah. Une mère de famille a exposé dans la presse1 ce que M. Merah avait fait subir à sa famille deux ans plus tôt : « Il a conduit mon fils à son domicile. […] Puis il lui a imposé de regarder des vidéos d’al-Qaida [des scènes insoutenables dans lesquelles des femmes sont exécutées d’une balle dans la tête et des hommes égorgés]. Mon fils m’a appelée. On a finalement pu le récupérer. Il est resté enfermé là-bas de 17 heures à minuit… » La mère a alors déposé plainte, ce qui a provoqué la colère de M. Merah : « Il est venu devant chez nous. Il m’a menacée et frappée. […] Il disait aussi que lui et ses amis viendraient prendre mon fils et qu’il ne me resterait plus que mes yeux pour pleurer. » Le surlendemain, il s’en est effectivement pris à son fils : « Il l’a frappé, et ma fille est intervenue. Il l’a rouée de coups. Il y avait beaucoup de monde, mais personne n’a bougé. »

La femme précise qu’elle a « tout gardé » : « La robe de sa fille tachée de sang et déchirée, le dépôt de plainte, les lettres de relance, des photos et les certificats médicaux… » L’avocat de cette mère de famille, maître Mouton, confirme qu’une « plainte très circonstanciée » a été déposée le 25 juin 2010. La mère de famille a relancé les autorités à de nombreuses reprises. Sans aucune suite. « Pourquoi, malgré tous mes signalements, Mohamed Merah n’a-t-il pas été arrêté ? Nous l’avons encore vu la semaine dernière. Il nous narguait. J’ai tout raconté à de nombreuses reprises à la police et à la préfecture. […] C’est incompréhensible et révoltant. »

Cet exemple est confondant, mais il n’est pas exceptionnel. Si les médias en ont parlé, ce n’est pas parce que l’affaire en elle-même était rare : c’est uniquement parce que son auteur s’est fait connaître, pour d’autres faits, de tous les Français.

Lorsque le parquet donne suite aux 1,4 million de plaintes élucidées, une « réponse pénale » a effectivement lieu. C’est ainsi qu’est calculé le taux de réponse pénale, dont la Justice s’enorgueillit qu’il atteigne les 88 %. Cela ne signifie pas pour autant que tous les auteurs de délits sont traduits devant un tribunal. Loin de là.