L’application extraterritoriale du 4ème amendement : un Etat de droit partiel

 

Si la déclaration des droits américaine est au départ conçue pour préserver les citoyens de l’ingérence du gouvernement, les flous entourant l’application de ses amendements peuvent se révéler dangereux. Le 4ème amendement en est l’exemple le plus probant.

 

Le 4ème amendement est un des fondements de la Déclaration des droits américaine. Sur le papier, il assure à quiconque sous le joug de la justice américaine plusieurs sécurités inaliénables, la plus importante et fréquemment utilisée étant l’obligation de la délivrance d’un mandat et de la démonstration d’arguments solides avant toute perquisition. Ces dernières années, des affaires impliquant un état américain qui n’a que faire de ce 4ème amendement se sont cependant multipliées, au détriment des accusés la plupart du temps. C’est par exemple le cas dans l’affaire Firtash.

L’homme d’affaires ukrainien, a été arrêté en mars 2014 à Vienne, soupçonné par les autorités américaines de violer le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA). L’industriel n’est pourtant pas américain, ne fait pas d’affaires aux Etats-Unis et n’y vit pas non plus. L’homme d’affaires est cependant arrêté par le FBI, car, pour des raisons de « sécurité nationale », la loi fédérale américaine oublie de plus en plus souvent l’existence de frontières. Jusqu’ici, si c’est là une condition pour faire respecter les lois internationales, pourquoi pas.  Sauf que voilà, dans les affaires comme celles de Firtash, il n’est pas rare de voir un accusé étranger soumis aux lois pénales américaines, mais privés des droits inhérents au statut de citoyen américain, à l’instar du 4ème amendement.

En 2013, le FBI était déjà accusé de violer le 4ème amendement en fermant la plate-forme Silk Road et en inculpant son fondateur grâce à des informations obtenues après une enquête secrète et surtout douteuse. Un an plus tard, en parallèle de Dmytro Firtash qui conteste les perquisitions effectuées par le FBI sans mandat, c’était le géant Microsoft qui faisait appel d’une décision de justice arguant que son droit au 4ème amendement avait été bafoué.

L’étendue de l’application de la Déclaration, aussi bien géographique qu’en termes de « bénéficiaires » – les personnes qui peuvent jouir des droits qu’elle confère – pose clairement problème dans la mesure où elle varie selon les amendements. Ainsi, le quatrième amendement relatif aux perquisitions et saisies injustifiés1 ne s’applique pas aux étrangers non-résidents aux Etats-Unis, tandis qu’il protège les étrangers résidents sur le sol américain et les citoyens américains même hors du territoire des Etats-Unis. Cette vision tronquée d’un principe pourtant fondamental – la restriction du pouvoir arbitraire et le droit à la sûreté – relève d’une pratique discriminatoire à l’égard des étrangers et d’une violation de l’égalité devant la loi.

Droit du citoyen contre droit de la personne humaine

Les Pères fondateurs ont conçu la Déclaration des droits américaine comme protection contre l’ingérence abusive du gouvernement. Le deuxième amendement et sa référence à l’organisation des milices et au droit de porter des armes montre clairement la défiance de l’époque à l’encontre de l’arbitraire des autorités. Cette protection n’était d’abord destinée qu’aux citoyens américains, la terminologie du quatrième amendement est claire à ce sujet. La Cour suprême a pourtant étendu cette protection aux ressortissants étrangers établis légalement sur le territoire des Etats-Unis2.

Elle a ainsi considéré que les résidents permanents, dès lors qu’ils étaient placés de fait dans une situation analogue à celle des citoyens américains, devaient acquérir des droits similaires, dont ceux protégés par la Déclaration des droits. En tant qu’attribut de la citoyenneté américaine, la Cour suprême a également reconnu au quatrième amendement une application extraterritoriale3. Un citoyen américain est protégé contre les perquisitions et saisies abusives, même hors du territoire des Etats-Unis.

Cette extension progressive de la portée du quatrième amendement s’est finalement arrêtée aux étrangers hors du territoire américain. Un ressortissant étranger qui ferait l’objet de fouilles ou de saisies extraterritoriales ne pourrait pas invoquer le quatrième amendement et demander, par exemple, qu’un mandat de perquisition soit d’abord délivré.

Quid de son droit à la sûreté ? Quid de la restriction du pouvoir arbitraire des autorités ? En n’adoptant pas une doctrine holiste des droits fondamentaux et en subordonnant l’application de la Déclaration à la citoyenneté américaine (ou à son analogie de facto), le législateur et le juge américains ne vont-ils pas à l’encontre du principe d’égalité devant la loi ?

La combinaison du quatrième amendement avec les 5ème et 6ème amendements : une logique contestable

L’enjeu réel de l’application du quatrième amendement est qu’au cours du procès, les preuves saisies de manière irrégulière peuvent être écartées. « Bien mal acquis ne profite jamais » : les autorités ne peuvent pas récolter les fruits de leur action inconstitutionnelle. A de très rares exceptions près4, les étrangers non-résidents ne peuvent pas demander la révision de la procédure de saisie et toutes les preuves présentées contre eux seront examinées. A l’inverse pourtant, ils pourront jouir des garanties conférées par les cinquième et sixième amendements relatifs à la présomption d’innocence et au droit au procès équitable (due process of law).

La protection ainsi conférée dépend en effet du lieu : la perquisition et la saisie sont intervenues à l’étranger, en revanche le procès se tient sur le territoire des Etats-Unis. Dans le premier cas les prévenus étrangers non résidents ne bénéficient pas des garanties procédurales du droit américain, dans le second cas ils le peuvent. On se demande toutefois quelle force accorder à ce « due process » partiel. Lorsque les phases préparatoires du procès sont unconstitutionnelles, le procès n’est de fait pas équitable. En d’autres termes, le mal est déjà fait et apporter une protection a posteriori est fatalement illusoire.

Au-delà du droit américain, le droit international

L’égalité devant la loi est assurée par le quatorzième amendement de la Déclaration selon lequel « aucun Etat […] ne refusera une égale protection des lois à quiconque relève de sa juridiction ». Rappelons par ailleurs que les Etats-Unis sont parties de plusieurs conventions internationales qui consacrent le principe d’égalité devant la loi et condamnent expressément la discrimination.

C’est le cas notamment de la Déclaration universelle des droits de l’Homme en son article 75, et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, article 266. L’absurdité de l’utilisation actuelle du quatrième amendement devrait donc être corrigée, non seulement pour assurer la stricte conformité du droit américain avec ses obligations supranationales, mais tout simplement pour garantir l’égalité de tous devant les cours américaines.

 

1« Le droit des citoyens d’être garantis dans leur personne, leur domicile, leurs papiers et effets, contre les perquisitions et saisies non motivées ne sera pas violé, et aucun mandat ne sera délivré, si ce n’est sur présomption sérieuse, corroborée par serment ou déclaration, ni sans que le mandat décrive particulièrement le lieu à perquisitionner et les personnes ou les choses à saisir. »

2 The Japanese Immigrant Case, 189 U.S. 86, 101 (1903)

3Reid v. Covert, 354 U.S. 1 (1957)

4Voir notamment : United States v. Toscanino, 500 F.2d 267 (2d Cir. 1974).

5« Tous sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction à une égale protection de la loi. Tous ont droit à une protection égale contre toute discrimination qui violerait la présente Déclaration et contre toute provocation à une telle discrimination. »

6« Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. A cet égard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique et de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. »