Cuir et denrées alimentaires : le deux poids deux mesures de la législation

Notre alimentation est l’objet d’une attention qui confine à l’obsession. Ce que l’on porte l’est aussi, même si c’est dans une moindre mesure. La traçabilité alimentaire est d’ailleurs rigoureusement réglementée au même titre que la traçabilité textile. Il existe pourtant certains vides juridiques sectoriels étonnants. Tel est le cas du cuir. Pourtant les produits associés à sa fabrication devraient eux aussi être soumis à une vigilance européenne et internationale renforcée.

En matière de traçabilité, la filière alimentaire est très réglementée. Cela est dû aux différents scandales qui se sont succédé (vache folle, fièvre aphteuse, etc.) et qui ont, bien logiquement, effrayé les consommateurs. Les professionnels sont tenus aujourd’hui de suivre les denrées alimentaires et les transformations qu’elles subissent du fournisseur jusqu’au point de distribution. il s'agit d’assurer aux consommateurs préoccupés des produits de qualité.

En raison de la libre circulation des denrées alimentaires au sein du marché intérieur de l’Union européenne, le législateur devait être européen. La législation alimentaire générale de l’UE est entrée en vigueur en 2002 et exige de tous les exploitants du secteur alimentaire qu’ils appliquent des systèmes de traçabilité spécifiques. Sont obligatoires l’identification du fournisseur et du client et l’établissement de la nature du produit et de la date de livraison. Ces informations sont indispensables à l’isolation des denrées alimentaires incriminées en cas de crise.

Outre la législation générale, il existe également une législation sectorielle pour chaque catégorie de produits alimentaires (fruits et légumes, bœuf, poisson, miel, huile d’olive) ainsi que pour les organismes génétiquement modifiés (OGM) et pour les animaux. Ces derniers doivent être « marqués » (marques auriculaires, passeports, codes-barres).

À la suite de la découverte en Grande-Bretagne de viande de cheval dans des plats cuisinés en lieu et place de viande de bœuf impliquant deux entreprises françaises, la Commission s’est réunie en février 2013. Objectif : renforcer encore la réglementation européenne en la matière. On ne plaisante pas avec la viande.

Il existe bien une législation européenne en matière textile depuis le 27 septembre 2011, renforcée en mai 2012. L’exploitant est tenu, a minima, de mentionner l’origine du produit, les mentions sur l’entretien du produit, la taille et les substances allergènes chimiques éventuellement présentes. Curieusement, en comparaison, la traçabilité du cuir connaît un vide juridique frappant, alors même que les enjeux sont similaires.

dans les industries de cuir a remis la nécessité de réglementer la filière sur le devant de la scène. Le 14 juin 2013, ce ne sont pas moins de 8 300 paires de chaussures de marques et, de gammes diverses qui ont été retirées de la vente parce qu’elles contenaient du chrome 6. Elles pouvaient provoquer, chez les individus allergiques, des éruptions cutanées aux conséquences parfois critiques.

Dans le contexte de la mondialisation des échanges et de la délocalisation de la production dans les pays hors UE, il est tout aussi nécessaire pour la profession du cuir de mettre en œuvre des solutions assurant la traçabilité et l’authentification de ses produits. Le règlement du Parlement européen et du Conseil REACH a ajouté le chrome VI à la liste des substances soumises à autorisation le 18 avril dernier. Son éventuelle interdiction en Europe constituerait une avancée notable, mais ne serait guère suffisante. Il est primordial qu’une réglementation au niveau international s’applique avec des contrôles dignes de ce nom à l’importation.

Le législateur doit s’inspirer de la rigueur de la réglementation relative à la traçabilité alimentaire. Pour le moment, les efforts de traçabilité sont endossés par les distributeurs les plus responsables, alors qu’ils devraient être obligatoires et harmonisés pour l’ensemble de la filière. Certains acteurs le font déjà mais ces pratiques devraient être généralisées et obligatoires pour tout le secteur du cuir : cahiers des charges comportant des exigences en matière sociale et environnementale ainsi que les normes à respecter en matière d’emploi de produits chimiques, établissement des certificats de provenance des cuirs et audits des usines afin d’éviter la sous-traitance sauvage des fournisseurs devraient constituer les obligations spécifiques d’un système de contrôle véritablement performant.