Depuis son adoption à l’Assemblée nationale le 6 mars 2025, la proposition de loi visant à interdire le démarchage téléphonique sans consentement explicite se présente comme une réponse attendue à un vide juridique patent. Le 21 mai, le Sénat examine ce texte dans le cadre d’une procédure accélérée. Présentée comme un virage protecteur pour le consommateur, cette réforme soulève d’importantes questions juridiques, tant sur la nature du consentement exigé que sur les modalités d’application et de sanction.
Vers un renversement de paradigme : le passage du silence au consentement actif
Le cœur du texte repose sur un principe : inverser la logique actuelle du consentement implicite. Désormais, le démarchage téléphonique ne pourra avoir lieu que si le destinataire a expressément donné son accord, ce que la loi qualifie de consentement « libre, spécifique, éclairé, univoque et révocable ». Cette définition, directement inspirée du RGPD, introduit une exigence nouvelle de preuve pour les entreprises.
Mais juridiquement, cette exigence soulève un problème structurel : comment prouver que le consentement a été valablement recueilli ? Le texte ne précise ni les supports admissibles (écrit, électronique, verbal enregistré), ni les modalités de conservation, ni la durée de validité d’un consentement. Les juristes redoutent ainsi une multiplication des litiges portant sur le démarchage téléphonique, notamment en cas de contentieux transfrontaliers.
Des sanctions renforcées… et une incertitude sur leur applicabilité
Le texte prévoit une gradation des peines en cas de démarchage téléphonique illégal. Pour une personne morale, l’amende peut atteindre 375 000 euros, et jusqu’à 500 000 euros et cinq ans d’emprisonnement en cas d’abus de faiblesse. Une sévérité notable, alignée sur les textes les plus stricts du Code de la consommation et du Code pénal (article 223-15-2).
Mais comme souvent, la portée du dispositif d’interdiction du démarchage téléphonique dépendra de la réalité de son application. Pour l’heure, aucun mécanisme spécifique de contrôle n’est mentionné. Les services de la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) devront-ils traiter ces plaintes ? Comment seront distinguées les infractions des dysfonctionnements techniques ou des abus déclaratifs ?
Le dispositif Bloctel, pourtant prévu pour remplir une fonction similaire, n’a jamais réellement rempli son objectif : moins de 10 % des Français y sont inscrits et le nombre de sanctions prononcées reste dérisoire face aux volumes d’appels. Une jurisprudence faible, une charge de preuve ambiguë, et une traçabilité souvent lacunaire expliquent cet échec partiel.
Le flou sur les exceptions et les champs d’application
Une clause d’exception a été introduite pour les entreprises de moins de 50 salariés dont l’activité principale n’est pas le démarchage téléphonique. Une zone grise qui, faute de définition rigoureuse, pourrait être exploitée à des fins d’évitement. De plus, le texte conserve l’autorisation d’appels dans le cadre de l’exécution d’un contrat en cours, sans plus de précisions.
Qu’est-ce qu’un contrat en cours ? Quelle temporalité recouvre-t-il ? L’existence d’un devis signé suffit-elle à autoriser le contact ? La loi, en l’état, n’apporte pas de réponse opérationnelle, et laisse au juge un pouvoir d’interprétation considérable.
De même, si le démarchage est interdit, rien n’est dit sur le transfert de fichiers contenant les consentements : qui les gère, selon quels standards, avec quelle sécurité juridique ? Une faille qui pourrait affaiblir l’ambition affichée.
Une entrée en vigueur différée… et juridiquement risquée
Prévue pour le 11 août 2026, l’entrée en vigueur de la loi coïncide avec la fin du marché public en cours concernant Bloctel. Ce décalage est justifié par le gouvernement comme un temps d’adaptation. Mais il crée une longue période transitoire, pendant laquelle l’effet d’annonce risque de provoquer une confusion juridique : les appels seront-ils perçus comme déjà illégaux par les consommateurs, alors qu’ils ne le sont pas encore ?
Les praticiens s’interrogent aussi sur les décrets d’application, encore inexistants. Le flou réglementaire autour des modalités techniques du consentement, des contrôles et des sanctions pourrait entraîner une invalidation partielle du texte, ou des contentieux fondés sur le principe de sécurité juridique.
Une réforme ambitieuse, mais fragile sans socle jurisprudentiel
D’un point de vue strictement juridique, la réforme marque une volonté louable : rééquilibrer la relation entre consommateur et professionnel en imposant un respect formel de la volonté individuelle. Elle s’inscrit dans une tendance de fond du droit européen et national.
Mais en l’absence de précisions réglementaires, d’outils de contrôle définis, et d’un corpus jurisprudentiel solide, le risque est grand que cette ambition se heurte à l’opacité des pratiques et à la difficulté probatoire. Comme le résume une juriste spécialisée : « Le texte est fort en symboles, mais faible en dispositifs ».
Il faudra surveiller de près l’écriture des décrets, la montée en puissance des autorités de contrôle, et les premières décisions judiciaires pour savoir si le démarchage téléphonique est effectivement mort… ou juste déplacé.
Bonjour Adélaïde,
D’où tenez vous l’info sur l’exception des entreprises de moins de 50 salariés dont l’activité principale n’est pas…etc.
Merci d’avance,
Cordialement,