Le 17 octobre 2025, après plusieurs semaines d’audiences, un jury fédéral américain a rendu un verdict qui marque un tournant dans la responsabilité civile des institutions financières. BNP Paribas a été reconnue coupable de « complicité d’exactions » pour avoir, selon les plaignants, maintenu des transactions en dollars au profit du gouvernement soudanais alors sous sanctions. Trois réfugiés ont obtenu 20,5 millions de dollars de dommages et intérêts. L’affaire, portée devant la cour fédérale du district Sud de New York, soulève d’importantes questions sur l’extraterritorialité du droit américain et la portée des obligations de conformité bancaire.
Une responsabilité civile fondée sur la violation de sanctions internationales
Le jury a estimé que BNP Paribas avait enfreint les sanctions économiques imposées au Soudan par les États-Unis en fournissant, directement ou indirectement, des services financiers à des entités liées au régime d’Omar el-Béchir. Le fondement juridique du jugement s’appuie sur l’Alien Tort Statute (ATS), texte permettant à des ressortissants étrangers de poursuivre des personnes morales devant les juridictions américaines pour des atteintes graves aux droits humains. C’est la première fois qu’une banque européenne de cette taille est condamnée sous ce régime civil pour complicité d’exactions à l’étranger.
Les avocats des plaignants ont salué une décision « historique » établissant qu’« une institution ne peut fermer les yeux sur les conséquences humaines de ses opérations financières ». Du côté de la défense, BNP Paribas conteste vigoureusement ce raisonnement. Dans un communiqué, la banque a déclaré que « ce verdict est manifestement erroné » et qu’il « ignore des éléments de preuve essentiels » qui n’ont pas été admis à l’audience. L’établissement a confirmé son intention de saisir la cour d’appel du deuxième circuit.
Des précédents lourds et un risque juridique extensible
L’affaire s’inscrit dans un continuum juridique entamé en 2014, lorsque BNP Paribas avait plaidé coupable devant le Department of Justice (DoJ) pour avoir contourné des sanctions américaines visant notamment le Soudan, Cuba et l’Iran. À l’époque, la banque avait accepté de verser 8,97 milliards de dollars, la plus lourde amende jamais infligée à une institution étrangère aux États-Unis. Cette reconnaissance de culpabilité a servi de point d’appui juridique aux plaignants du procès civil de 2025, qui ont soutenu que BNP Paribas avait « sciemment » contribué au maintien du régime soudanais.
La portée de cette nouvelle décision inquiète les juristes. Plusieurs cabinets d’avocats américains spécialisés dans les litiges de droits humains évoquent déjà la possibilité de plaintes groupées, voire d’actions collectives (class actions) émanant d’autres victimes ou ONG. Selon des estimations relayées par Bloomberg Law, plus de 20 000 réfugiés soudanais pourraient déposer des demandes similaires, transformant un précédent isolé en contentieux de masse.
Un appel stratégique et des enjeux de conformité bancaire
BNP Paribas a d’ores et déjà annoncé qu’elle ferait appel, soulignant l’absence de lien de causalité directe entre ses opérations bancaires et les violations commises au Soudan. La banque insiste sur le fait qu’elle a, depuis plus d’une décennie, renforcé ses dispositifs de conformité et coopéré pleinement avec les autorités américaines. Un porte-parole précise que la décision « ne reflète pas la réalité des faits » et « ne remet pas en cause les standards actuels du groupe en matière d’éthique et de contrôle des flux financiers ».
Sur le plan juridique, l’appel portera probablement sur deux points : la recevabilité des preuves et la compétence territoriale du tribunal. Les avocats de BNP Paribas devraient soutenir que les activités incriminées étaient conduites depuis la Suisse et ne relevaient donc pas du champ direct de la juridiction américaine. Cet argument, déjà partiellement rejeté en première instance, pourrait néanmoins trouver un écho auprès de la cour d’appel du deuxième circuit, plus stricte sur l’application extraterritoriale de l’ATS depuis l’arrêt Kiobel v. Royal Dutch Petroleum Co. de 2013.
Un précédent pour la responsabilité des banques dans les violations des droits humains
Cette affaire pourrait ouvrir la voie à une nouvelle interprétation de la responsabilité civile des institutions financières. Si la décision du jury est confirmée en appel, elle consolidera l’idée qu’une banque peut être tenue civilement responsable non pas pour ses intentions, mais pour les conséquences prévisibles de ses transactions, dès lors qu’elles ont contribué à financer des régimes répressifs. Les juristes y voient une extension du champ de la due diligence bancaire vers une obligation de vigilance extraterritoriale, renforçant les risques de contentieux transnationaux.
En attendant, BNP Paribas tente de préserver son image et de contenir les effets boursiers du jugement, l’action ayant chuté de 10 % le 20 octobre. Mais l’enjeu dépasse la seule sanction financière : il interroge la frontière mouvante entre droit international, conformité bancaire et responsabilité morale des acteurs économiques globaux. Le verdict, même en attente d’appel, restera une référence jurisprudentielle scrutée par les régulateurs, les ONG et l’ensemble du secteur financier.








