C’est une affaire emblématique de la convergence entre droit économique et droit de l’environnement. Saisie en mars 2022 par trois ONG — Les Amis de la Terre, Greenpeace France et Notre Affaire à Tous —, la justice française a tranché : certaines communications de TotalEnergies constituaient bien des pratiques commerciales trompeuses au sens du Code de la consommation. Cette condamnation, la première du genre visant une major pétrolière, établit une jurisprudence importante dans la régulation du discours écologique des entreprises.
Le fondement juridique de la décision : une application inédite du droit de la consommation
La condamnation s’appuie sur les articles L.121-2 et suivants du Code de la consommation, qui prohibent les pratiques commerciales reposant sur des informations fausses ou de nature à induire le consommateur en erreur. En l’espèce, le tribunal a estimé que les slogans diffusés par TotalEnergies à partir de 2021 — notamment ceux affirmant une « neutralité carbone » à horizon 2050 ou une « transition énergétique majeure » — ne correspondaient pas à la réalité des activités du groupe.
Le jugement contre TotalEnergies précise que ces allégations étaient trop générales et insuffisamment étayées pour constituer des informations loyales. L’entreprise aurait ainsi présenté comme acquises des orientations stratégiques encore hypothétiques, sans garantir leur faisabilité. Le tribunal rappelle que, selon la directive européenne 2005/29/CE sur les pratiques commerciales déloyales, la tromperie peut résulter non seulement d’une fausse information, mais aussi d’une présentation de nature à altérer le comportement économique du consommateur moyen.
Ce raisonnement illustre une extension du champ d’application du droit de la consommation à la communication environnementale. Jusque-là, ces litiges relevaient plutôt du droit de l’environnement ou de la publicité trompeuse. Désormais, la sincérité des engagements climatiques relève pleinement du contrôle de loyauté commerciale.
Le dispositif de la condamnation : une sanction mesurée mais symbolique
La décision rendue par le tribunal judiciaire de Paris le 23 octobre 2025 comporte plusieurs volets. TotalEnergies est condamnée à verser 8 000 euros de dommages et intérêts à chacune des trois associations requérantes, soit 24 000 euros au total, ainsi que 15 000 euros au titre des frais irrépétibles.
Le groupe devra également retirer de son site Internet toutes les allégations jugées trompeuses et publier la décision de justice. En cas de non-exécution, une astreinte de 20 000 euros par jour a été fixée. Certaines demandes des associations ont toutefois été rejetées, notamment celles concernant les affirmations relatives au gaz naturel et aux biocarburants.
La portée financière du jugement demeure limitée, mais sa valeur juridique est considérable. Pour la première fois, un tribunal français applique la notion de greenwashing dans le cadre strict du droit de la consommation. Selon plusieurs avocats spécialisés, ce raisonnement ouvre la voie à une judiciarisation croissante des promesses écologiques, notamment dans les secteurs de l’énergie, de la finance et de la grande distribution.
Les implications juridiques : vers un encadrement renforcé des allégations environnementales
Cette décision s’inscrit dans un contexte de durcissement réglementaire européen. La future directive dite « Green Claims », actuellement en discussion à Bruxelles, prévoit d’imposer aux entreprises une obligation de vérification scientifique préalable avant toute communication environnementale. Le cas TotalEnergies illustre de manière concrète la logique de cette réforme.
Pour les praticiens du droit, la portée de ce jugement dépasse la seule question du marketing. Il renforce la jurisprudence française relative à la responsabilité informationnelle des entreprises. Dès lors qu’une communication publique influence les comportements d’achat ou d’investissement, elle peut être contrôlée sur le plan juridique, au même titre que les étiquetages ou les mentions contractuelles.
Les avocats spécialisés en contentieux environnemental y voient aussi une évolution stratégique : le droit de la consommation devient un levier pour contraindre les entreprises à la cohérence de leurs engagements climatiques. Cette approche s’ajoute aux recours fondés sur la responsabilité civile environnementale, plus longs et complexes à instruire.
Cette affaire pourrait faire jurisprudence. D’autres actions similaires sont déjà envisagées contre des entreprises des secteurs de l’aviation, de la banque et de la distribution. Les juristes anticipent un effet d’entraînement comparable à celui qu’ont connu les class actions dans le domaine de la consommation.








