Le 31 octobre 2025, la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale a adopté un amendement qui introduit un nouvel article L. 162-4-6 au sein du Code de la sécurité sociale. Cet article prévoit que « en lieu et place d’un avis d’arrêt de travail, le médecin peut prescrire à l’assuré dont l’état le justifie une mesure de reprise ou de poursuite d’activité en télétravail ». Il s’agit d’une transformation notable du régime des arrêts-maladie.
Le dispositif législatif et sa portée juridique
L’amendement adopté introduit une insertion dans le Code de la sécurité sociale : l’article L. 162-4-6 prévoit que « le médecin peut prescrire … une mesure de reprise ou de poursuite d’activité en télétravail, défini à l’article L. 1222-9 du code du travail, dans des conditions définies par décret en Conseil d’État. Cette prescription s’effectue avec l’accord de l’assuré et sous réserve de l’éligibilité de son poste avec un tel mode d’organisation selon les modalités définies au sein de l’entreprise. »
En parallèle, l’amendement complète l’article L. 1222-9 du Code du travail par un 8° : « Les modalités de recours au télétravail en cas de prescription d’une reprise ou poursuite d’activité par le médecin dans les conditions visées à l’article L. 162-4-6 du code de la sécurité sociale. » Sur le plan juridique, cette évolution se traduit par le franchissement de deux lignes : d’abord la reconnaissance officielle d’un rôle prescriptif inédit pour le télétravail ; ensuite l’ajout d’un lien direct entre le droit de la sécurité sociale et l’organisation interne de l’entreprise via la compatibilité du poste.
Questions et implications pour les médecins, salariés et employeurs
Pour le médecin, la disposition ouvre une nouvelle marge de décision : non plus uniquement arrêter l’activité, mais envisager une reprise ou une poursuite en télétravail. Toutefois, cette option n’efface pas le droit à l’arrêt, et dépend de l’état de santé du salarié, de l’éligibilité du poste et de l’accord du salarié.
Pour le salarié, cette possibilité peut représenter un aménagement plus souple qu’un arrêt complet. Néanmoins, la prescription de télétravail implique qu’il accepte cette organisation et que son poste soit compatible, ce qui crée un droit contingent, et non absolu.
Pour l’employeur, la mesure introduit une obligation indirecte : vérifier l’éligibilité du poste, adapter l’organisation si celle-ci est décidée, et assurer les conditions matérielles du télétravail. Le décret en Conseil d’État, qui reste à venir, précisera les modalités, notamment la durée de la mesure, la révision, le suivi de santé et le cadre contractuel.
Risques, contrôles et tensions juridiques
Un premier risque porte sur la frontière entre arrêt de travail et maintien d’activité : la prescription du télétravail pourrait être perçue comme une pression indirecte sur le salarié pour revenir à l’activité. Dans les débats, des députés ont soulevé que cette disposition pourrait “immiscer” l’État dans la relation médecin-patient.
Un second enjeu touche à la responsabilité du médecin : en prescrivant un télétravail, il engage un jugement sur la compatibilité du poste et l’état de santé ; en cas de détérioration, un litige pourrait survenir. Un troisième point concerne la compatibilité avec le droit du travail : l’employeur devra s’assurer que les conditions relatives à l’organisation du travail à domicile respectent la législation (sécurité, charge de travail, droit à la déconnexion). Enfin, l’utilisation d’un tel dispositif demandera un cadre de contrôle et de suivi pour éviter les abus (arrêts détournés, télétravail utilisé comme simple prolongation).
Perspective et jusqu’où va le texte ?
L’amendement se situe dans le cadre plus large du PLFSS 2026 et entérine une logique de réduction des arrêts « évitablement prolongés ». Il vise trois objectifs : prévenir la désinsertion professionnelle, réduire les arrêts de travail évitables et maintenir le lien entre salarié et entreprise. Cependant, l’entrée en vigueur dépendra du vote définitif du texte en séance publique, de la publication du décret en Conseil d’État et de la capacité d’écriture des modalités pratiques (durée, contrôle, champ). Dans l’intervalle, le texte suscite déjà des interrogations chez les praticiens et les acteurs du monde de l’entreprise.
Dans sa version actuelle, cette réforme marque un tournant dans la gestion juridique de l’absentéisme et de l’organisation du travail. À la croisée des champs du droit de la santé, du droit social et du droit du travail, l’article L. 162-4-6 installe une modalité inédite : le télétravail comme alternative prescriptive à l’arrêt de travail. Sa mise en œuvre opérationnelle et sa vigilance juridique détermineront la portée réelle de cette innovation.








