Les interrogatoires de police sont-ils assez encadrés juridiquement ?

Le suspect d'un braquage à main armée est interpellé à son domicile. Lorsque les policiers l'interrogent, il avoue très vite les faits et implique ses complices. Lors du tapissage, les victimes et témoins l'identifient formellement. La perquisition dans son logement permet de retrouver des armes et du butin. Son ADN, prélevé et analysé de suite, le relie à la commission d'une série de forfaits identiques. 

Au terme de la garde à vue, il est déféré devant un magistrat qui sollicite sa détention. Ses comparses sont localisés et arrêtés. Bref, une enquête rondement menée en un temps record, sans aucun incident, sans être contrariée par des recours, des oppositions ou des rétractations. Oui, cela arrive très souvent… mais uniquement dans les séries TV ! La réalité est évidemment très différente.

L'image du travail de la police est ainsi nettement faussée. Fort heureusement, la majorité des citoyennes et des citoyens ne sont pas confrontés directement aux forces de l'ordre; ils représentent majoritairement des victimes, des témoins ou des auteurs d'infractions au code de la route.

L'interrogatoire d'un prévenu, tout comme l'audition d'un témoin ou d'une victime, est une démarche fréquente et systématique. Quel que soit en effet son domaine d'activité, le policier ou le gendarme doit toujours demander quelque chose à quelqu'un, obtenir des renseignements et vérifier l'exactitude des déclarations obtenues. Mais les personnes entendues ont toutes des intérêts divergents; la victime peut être fragile, le témoin ne pas être fiable ou ne pas être capable de partager ses informations et le suspect, qui n'est pas masochiste, ne voit, dans la majorité des cas, aucun intérêt immédiat à s'expliquer. Quant à l'avocat, son rôle est principalement de servir au mieux les intérêts de son client et non d'agir en sa seule qualité d'auxiliaire de la justice. Ainsi, penser que simplement poser une question entraîne nécessairement une réponse exacte équivaudrait à rendre l'entretien mécanique, tant et si bien que l´on pourrait alors le remplacer par un questionnaire à choix multiples. La personne entendue aurait alors tout loisir d'y répondre quand et comme elle le souhaiterait. On le voit, mener un entretien de police demeure un acte humain qui ne peut être remplacé par un acte robotique.

L'interrogatoire (ou l'audition de police) est régi par la procédure pénale et des directives internes. Avant de débuter un entretien, les droits doivent être notifiés à la personne entendue qui, dans bon nombre d'Etats de droit, peut déjà bénéficier d'un défenseur dans les locaux de la police. L'entretien est généralement résumé sur procès-verbal. Dans certains cas, il peut en outre être filmé et/ou enregistré. Le traducteur doit également respecter les devoirs qui lui sont assignés.

En Suisse, « les moyens de contrainte, le recours à la force, les menaces, les promesses, la tromperie et les moyens susceptibles de restreindre les facultés intellectuelles ou le libre arbitre sont interdits dans l'administration des preuves « . « Autoriser les méthodes susmentionnées si le prévenu y a consenti, reviendrait à exercer sur lui une contrainte indirecte car un refus de sa part pourrait être interprété comme suspect. Aussi, il est interdit de recourir à ces méthodes, même si le prévenu y a consenti « . Il ne peut être fait usage de violence, ni menacer, tromper en mentant, promettre, faire boire de l'alcool, fournir des stupéfiants ou avoir recours à un détecteur de mensonges. Il s'agit de méthodes définitivement prohibées.

Art. 140, al. 1 du Code de procédure pénale suisse.
Message relatif à l'unification du droit de la procédure pénale du 21.12.2005, p. 1162.

Ces principes généraux existent dans la plupart des pays occidentaux, sauf pour ceux, minoritaires en Europe, qui autorisent le recours au détecteur de mensonges, encore controversé.

Pour un enquêteur qui cherche avant tout la manifestation de la vérité et qui lutte contre le temps et le manque de moyens, ces mesures sont contraignantes. Mais il est clairement dans son intérêt, ainsi que dans celui de la justice, de respecter strictement ce cadre légal. Le transgresser entraînerait de facto une annulation des actes de procédure entrepris, voire le déclenchement d'une procédure disciplinaire. Les policiers et les gendarmes le savent pertinemment.

En ce sens, nous pouvons donc affirmer que les interrogatoires de police sont suffisamment encadrés au niveau juridique. Si, dans un pays démocratique, il s'agit-là d'une nécessité indiscutable, celle-ci a néanmoins un prix. Le policier doit, dans des délais très brefs, exécuter un nombre important de missions, se soucier de respecter la procédure pénale et s'assurer de bien remplir tous les documents ad hoc. Il peut ainsi être débordé administrativement ou se retrouver dans des contextes peu habituels, par exemple face à un ou des avocats aguerris. Dans ce cas, la forme l'emporte sur le fond. Inconsciemment, le but de l'entretien se met à basculer dans le respect de la forme prescrite au détriment de la manifestation de la vérité.

Alors, pour un policier ou un gendarme, comment combiner le respect de la procédure avec le droit des parties et la volonté de mener à bien sa mission ? Nous estimons que la meilleure piste se trouve dans la formation. Car si les enquêteurs sont de mieux en mieux formés aux questions procédurales, aux droits de l'homme, à la psychologie sociale ainsi qu'à l'éthique, la tactique et la stratégie n'est que peu enseignée. Le policier ou le gendarme se forme encore de manière empirique, s'inspirant de ses pairs, sans réellement savoir si la finalité de l'entretien aurait été différente en usant spécifiquement de techniques et de stratégies existantes et éprouvées.

Il convient avant tout de désacraliser l'aveu. En effet, le but d'un entretien consiste à obtenir la version la plus proche et objective du déroulement des faits, de même qu´à récolter un maximum d'informations mensongères pour ensuite confronter la personne entendue aux éléments contradictoires, stabilisés au cours de l'enquête. Avec cette simple règle, chaque enquêteur peut se délecter des fausses explications fournies par un suspect, sans avoir besoin d'absolument obtenir un aveu qui, parfois, ne représente pas la vérité ou s´en éloigne. Mais pour y parvenir, l'enquêteur doit user de techniques, de tactiques et de stratégies adaptées et précises. N'importe quel individu, même le criminel le plus endurci, ressent des émotions qu'il peine à cacher. Il cherche à savoir quelles sont les informations en possession de la police. Lui indiquer les risques encourus et quelle sera la suite de la procédure n´équivaut pas à le menacer, mais à lui expliquer en détail le déroulement des événements. Continuer à lui parler, sans faire pression, pour énumérer les preuves récoltées à son encontre ne signifie pas que la police ne respecte pas son droit au silence.  Ainsi, un enquêteur utilisera la ruse et non le mensonge ou la tromperie lorsqu'il distille sciemment des informations qu'il connaît, pour faire réaliser au suspect qu'il sait déjà tout ou partie de la vérité. Un entretien de police n'est pas un acte isolé, mais bel et bien une des étapes de l'enquête. A lui seul, il n'apportera jamais tous les éléments nécessaires pour mener à bien une procédure.

L'encadrement juridique existant, associer le policier à une meilleure formation en matière d'interrogatoires et d'auditions a un sens : celui d'agir dans le respect de toutes les parties, tout en donnant le plus de crédit et de compétences possibles au policier et au gendarme pour lui permettre de mener à bien ses missions avec conviction, humanisme et dignité.

F. Benoit & O. Guéniat