Depuis plusieurs semaines, quelques médias helvétiques ont évoqué la condamnation du groupe suisse SICPA, le fleuron mondial de la traçabilité, pour de prétendus actes de corruption. En réalité, la lecture du jugement, qui ne tient SICPA responsable que de « déficiences organisationnelles », montre qu’ils sont allés trop vite en besogne. Pointée du doigt pour son laxisme sur de récentes affaires impliquant des multinationales, la justice suisse semble vouloir durcir le ton. Jusqu’à l’excès ?
La sentence est tombée. Et elle a de quoi faire taire les rumeurs. L’entreprise suisse SICPA, leader mondial des encres de sécurité, a été condamnée pour des faits liés à une « déficience organisationnelle » dans plusieurs pays d’Amérique du Sud, notamment le Brésil entre 2008 et 2015. Le groupe doit payer pour cela une amende d’un million de francs suisses et régler une créance compensatoire de 80 millions de francs.
SICPA a mis en œuvre une restructuration organisationnelle profonde
Dans le détail, le Ministère public de la Confédération (MPC) a « condamné l’entreprise SICPA SA à payer un total de 81 millions de francs pour responsabilité pénale en lien avec des actes de corruption » — la nuance, discrète, est pourtant de taille. Autrement dit, et toujours selon les propres termes du MPC, « la responsabilité de l’entreprise ne signifie pas que SICPA SA a commis elle-même ces infractions perpétrées par d’anciens collaborateurs ou consultants », estime le tribunal dans une déclaration complémentaire, « ni qu’elle les a voulues ou acceptées ».
En résumé, dans cette affaire vieille de plus de dix ans, SICPA n’a pas été condamnée pour corruption, mais uniquement en raison de « déficiences organisationnelles » dans ses procédures de contrôle qu’elle a reconnues et auxquelles elle a affirmé avoir remédié depuis et durablement durci sa compliance. « Après cet évènement, un nouveau responsable de la conformité a été nommé. Il s’agissait d’un collaborateur expérimenté issu du département financier. Il s’est immédiatement consacré à la mise en place d’un système de gestion de la conformité. Dans une démarche proactive et collaborative avec le service juridique, une évaluation des risques a été introduite, des formations ont été organisées, les procédures de due diligence pour les prestataires extérieurs ont été améliorées… », affirme ainsi Alexander Ghazvinian, ancien chef compliance officer du groupe, devenu aujourd’hui conseiller du Président du groupe, pour le magazine français Entreprendre.fr qui l’a interrogé sur l’affaire.
La société a aussi rappelé qu’elle n’avait, à l’époque des faits, pas connaissance des actes commis en son nom, et qu’elle s’est empressée de sanctionner les responsables une fois ceux-ci identifiés. Elle a également procédé à une restructuration complète de son système de gestion des risques afin de prévenir tout nouvel écart, en décrochant notamment la certification ISO 37001:2016. Nous avons « réussi à égaler en qualité les CMS (système de management de la conformité) des grandes entreprises et des multinationales », poursuit Alexander Ghazvinian. Une affirmation confirmée par le parquet suisse qui affirme que « depuis lors, SICPA SA a volontairement et entièrement remédié à cette lacune organisationnelle ».
Une stratégie du bouc émissaire par le MPC pour calmer les critiques ?
Empêtré dans les suites de l’affaire dite « du djihadiste de Morges », le MPC a été sévèrement mis en cause par l’Autorité de surveillance du Parquet fédéral, qui a estimé dans un rapport publié en ce début d’année qu’il avait manqué à ses obligations dans le suivi de cet homme violent, emprisonné puis libéré en dépit des risques qu’il présentait, et ce avant de commettre un nouvel attentat. Dans son rapport, l’Autorité de surveillance « estime qu’une réaction aux violations des mesures de substitution s’imposait »…
La justice suisse est aussi, ces derniers temps, au cœur de critiques dépassant de loin les seules frontières du pays. Dans un rapport publié en janvier, l’ONG Transparency International dénonçait ainsi les lacunes de la justice helvétique, jugeant que celle-ci se montrait particulièrement clémente en matière de lutte contre la corruption. Ne relevant que dix condamnations définitives sur une période de vingt ans, l’ONG observe que « les entreprises helvétiques impliquées dans de grands scandales internationaux de corruption ou de blanchiment d’argent sont généralement appelées à répondre de leurs actes à l’étranger, mais pas en Suisse » — alors que 20 % d’entre celles qui sont actives à l’étranger seraient impliquées dans des affaires de corruption. Pour certains, la condamnation de SICPA est directement liée aux attaques dont fait l’objet le MPC depuis plusieurs mois.
Les personnes physiques finalement acquittées
Car il faut en revenir, toujours, à la matérialité des faits jugés. Selon le communiqué de SICPA, au Brésil (dans les autres pays sud-américains évoqués, aucune infraction n’ayant été constatée), les personnes physiques incriminées dans cette affaire ont finalement été acquittées le 8 juin 2022. « Aucun délit d’aucune sorte n’a été commis », s’est félicité leur avocat à cette occasion. Malgré tout, SICPA a annoncé accepter le jugement, bien qu’aucune infraction n’ait été reprochée à l’entreprise. De son propre aveu, pour lever l’incertitude que cette procédure faisait planer sur ses activités et clore définitivement l’affaire.