[Tribune] Open data et intelligence juridique : la révolution de la veille légale et informationnelle

open data intelligence juridique Olivier de Maison Rouge

L’open data des décisions de justice consécutive à la Loi pour la République Numérique entraîne une révolution dans l’analyse juridique, estime Olivier de Maison Rouge, avocat et docteur en droit.

La veille informationnelle – qui constitue un des trois axes de l’intelligence juridique – n’est, en tant que telle, ni régie ni définie par aucun texte légal ou règlementaire en particulier et relève, pour une large part, de pratiques tirées de l’expérience et appuyées par un savoir-faire certain. Longtemps laissée à l’activité du juriste, elle devient de plus en plus automatisée par des plates-formes dédiées.

Pour le juriste « augmenté », comme certains aiment à s’appliquer l’expression, tout l’art et la science est de s’approprier les bases juridiques disponibles, en vue de restituer une analyse pertinente à son mandant. C’est là tout le cycle du renseignement : collecte de l’information pertinente, analyse juridique puis restitution en vue d’une décision éclairée.

En vertu de la Loi pour la République numérique (2016), toute la jurisprudence est en théorie désormais accessible (fondement de l’open data), augmentant d’autant la base judiciaire disponible, sélectionnée par des outils numériques. Cela crée par conséquent une révolution dans l’analyse juridique, où désormais les outils de veille et de collecte doivent nécessairement être dotés d’une intelligence artificielle pour permettre à l’activité humaine de se consacrer au champ de l’analyse juridique à partir de données triées et segmentées. C’est tout le défi de l’open data lancé à l’intelligence juridique.

La veille juridique

La veille se définit comme une démarche d’obtention et d’analyse de l’information juridique. En principe, tout praticien du droit se livre de manière régulière à cet exercice pour les besoins de son métier.

Cette pratique se traduit en autres choses par un aperçu régulier des sources juridiques accessibles (en vertu de l’adage bien connu « nul n’est censé ignorer la Loi ») permettant de connaître, d’appréhender, d’analyser, pour mieux ensuite anticiper et se projeter en matière légale et règlementaire.

Mais précisément, la masse d’informations est telle, en raison de l’inflation de la production législative mais aussi de l’open data des décisions de Justice, que ce balayage doit être circonscrit aux domaines de compétences relevant des besoins dûment identifiés et assisté par des logiciels adaptés.

La veille juridique est donc une veille spécialisée dans le domaine du droit pour mieux :

1)    identifier à travers différentes sources d’informations sélectionnées, toute nouvelle disposition juridique ou texte de droit.

2)    exploiter cette connaissance afin de lui conférer une pertinence juridique,

3)    relayer le cas échéant cette information aux décideurs économiques.

Intelligence artificielle et collecte de l’information juridique

La nouveauté réside dans le fait que les derniers outils numériques sont davantage que des machines, mais de véritables « roseaux pensants », car leur atout majeur provient du fait qu’ils s’enrichissent de données connaissant une croissance exponentielle. Les textes et règlements rassemblés et immédiatement accessibles sur certains portails permettent déjà de se forger une première opinion, sans autre forme d’analyse.

L’intelligence juridique artificielle, qui se nourrit d’une base de données juridiques, s’inscrit bien dans le cadre d’une évolution de la pratique professionnelle, en complémentarité de l’analyse humaine. L’open data juridique s’apparente à la mise à disposition d’un matériau de base dûment filtré et passé au tamis selon des indicatifs de recherche rendus nécessaires pour trier l’information utile à l’élaboration du conseil ou de la stratégie judiciaire.

Les résultats des legal bots[1] deviennent concluants en fonction de paramètres préprogrammés qui permettront de faire ressortir le résultat nécessaire pour l’analyse du juriste. Toutefois, contrairement à ce qui est parfois annoncé, malgré l’open law développé à grande échelle, les legal bots n’ont pas vocation à se substituer au conseil qualifié du juriste, mais davantage à l’accompagner dans sa démarche d’analyse.

C’est pourquoi, pour un conseil juridique efficient, la digitalisation de la profession devra donc conduire le juriste à se positionner sur le « droit augmenté », c’est-à-dire le smart knowledge juridique ou smart law, à distinguer, qui en constitue la valeur ajoutée en matière de conseil, par opposition, de l’open law, aisément accessible à tout un chacun, demeurant une donnée brute, non retraitée sur laquelle s’appuyer en premier lieu.

En ce sens, « l’avocat augmenté », orfèvre du sur-mesure, pourra toujours se distinguer du robot prêt-à-penser, ce que ne manque pas de relever Kami Haeri, auteur d’un rapport remarqué sur l’évolution du métier d’avocat : « la proposition de valeur [des avocats] est proche de celle des métiers de l’artisanat d’art : un travail sur mesure, ultrapersonnalisé, dans lequel la réputation de l’avocat occupe une place importante. »[2]

 

[1] Déclinaison du chat bots, interface de dialogue professionnel en ligne

[2] K. Haeri (dir.), « Rapport sur l’avenir de la profession d’avocat », rapport remis au Ministre de la Justice, février 2017

 

Olivier de Maison Rouge, avocat et docteur en droit est l’auteur de plusieurs ouvrages : 

« Droit de l’intelligence économique. Patrimoine informationnel et secrets d’affaires », Lamy, 2012

« Droit du renseignement », LexisNexis, 2016

« Les cyberisques. La gestion juridique des risques à l’ère immatérielle », LexisNexis, 2018

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