Le pacte d’actionnaires : ce qu’il faut savoir

Document d’importance stratégique dans le cadre de la gouvernance actionnariale d’une entreprise, le pacte d’actionnaires doit être rédigé avec soin. S’il ne protège pas contre toutes les déconvenues, il demeure indispensable à la bonne marche d’une société qui accueille des participations extérieures.

 

Lorsque l’entreprise grandit et qu’elle s’entoure de nouveaux partenaires, mieux prévoir d’encadrer les responsabilités et les devoirs de chacun. Car ouvrir ses portes ne veut pas forcément dire faire entrer le renard dans le poulailler. Or, prévenir les éventuels conflits, c’est tout l’objet du pacte d’actionnaires. Ce document rédigé et signé conjointement par l’ensemble des détenteurs du capital constitue la pierre angulaire d’une relation de travail pérenne. Prenant la forme d’un contrat très technique, il ne garantit certes pas à lui seul l’équilibre entre les différentes parties, mais il n’en reste pas moins sécurisant pour l’entreprise dans le cadre du pilotage de l’entreprise.

Poser les limites

« L’intérêt du pacte d’actionnaires a pour objet d’organiser les relations entre les actionnaires d’une société », peut-on lire sur Le-Droit-des-Affaires.com. Sur son site, ce réseau d’avocats spécialisés explique en outre qu’un tel pacte contient « généralement des clauses relatives à la gestion de la société, à la gestion de l’actionnariat de la société, à la cession d’action de la société ». Sur le document peuvent également figurer des clauses relatives à sa durée d’application, mais aussi la description des procédures d’exécution de certaines clauses, ou encore les obligations spécifique à chaque partie prenante. Le pacte d’actionnaires est en somme le document qui définit l’identité des détenteurs du capital, leurs droits et leurs devoirs à l’égard de l’entreprise, et des uns envers les autres.

Le pacte peut être intégré au statut de l’entreprise, mais ce n’est pas une obligation. Son principal intérêt est notamment de fixer les règles de la gestion actionnariale, qu’il s’agisse de l’achat ou de la cession de titres. On y trouve ainsi fréquemment différentes clauses classiques telles que la clause de rachat forcé qui permet à l’actionnaire principal de racheter prioritairement les titres d’actionnaires minoritaires cédants afin d’éviter l’éparpillement du capital. Le pacte d’actionnaires est également une façon d’illustrer l’attachement des parties prenantes à la qualité des relations actionnariales. Par exemple, « Quand on envisage de solliciter des business angels, il est important savoir ce qu’on souhaite intégrer dans ce pacte d’actionnaires, afin de laisser transparaître, dès sa lettre d’intention sa volonté de constituer une bonne gouvernance » témoigne Alain Cornil, PDG de Heatwave.

Tous les juristes qui connaissent la question s’accorderont à rappeler à l’entrepreneur la nécessité de se doter d’un pacte d’actionnaires dans l’hypothèse où il ne serait pas le seul détenteur du capital de l’entreprise. Mais s’il engage en principe les deux parties dans une relation de confiance, il connaît toutefois certaines faiblesses. Par exemple, « si la société n’est pas cotée en bourse », explique Le Journal du Net, « [le pacte] n’est pas public et peut donc rester secret ». Ce qui expose donc l’entreprise au risque d’être mise devant le fait accompli par l’un de ses actionnaires. L’un d’entre eux peut par exemple céder ses parts et contrevenir ainsi à une ou plusieurs clauses du pacte. Mais l’entreprise ne pourra alors contester ce geste.

Une précaution dont l’efficacité demeure toute relative

Selon Sarah Assetou Garcia, « les pactes d’actionnaires posent des problèmes au regard de leur efficacité ». Pour cette avocate au barreau de Paris, « la faiblesse réside dans la difficulté d’en assurer une bonne exécution ». Ce dont s’est rendu compte Jean-Michel Germa, fondateur de La Compagnie du Vent et pionnier de la filière éolienne française. En 2007 en effet, sa compagnie accueillait la participation de GDF Suez en son capital. Motivée par la volonté de croître, la Compagnie du Vent voit 56 % de son capital passer aux mains de GDF Suez qui s’engage alors à mener avec elle d’ambitieux projets sur le marché de l’éolien offshore notamment. Le partenariat semble bien engagé mais pourtant très vite, Jean-Michel Germa, le président-fondateur de la Compagnie du Vent, se retrouve pris dans une véritable descente aux enfers. Les projets qu’il avait développés et qu’il comptait déployer avec l’aide de GDF Suez lui sont confisqués et sont attribués à des filiales du géant de l’énergie, en « violation du pacte d’actionnaires », estiment les avocats de Jean-Michel Germa. Cerise sur le gâteau : Jean-Michel Germa finit même par être évincé et remplacé par un cadre issu de GDF Suez en 2011.

Mais malgré son caractère manifestement peu contraignant, le pacte d’actionnaires reste un symbole fort qui pose des jalons évidents aux relations entre actionnaires. Si l’État français a par exemple conclu un pacte d’actionnaires de 90 ans avec EADS en avril 2013, c’est notamment pour profiter de l’influence que lui confère un tel accord sur l’industrie de la défense nationale. Avec ce pacte, l’État « bénéficiera d’une priorité pour racheter les titres d’EADS si ce dernier devait vouloir céder tout ou partie des actions qu’il détient dans le constructeur du Rafale », rapporte L’Usine Nouvelle. Grâce à ce pacte actionnarial, l’État s’assure donc de conserver dans son giron Dassault Aviation. Cette entreprise stratégique pour la défense nationale devrait donc rester sous influence française.

Précaution nécessaire, mais insuffisante contre les possibles aléas de l’ouverture du capital, le pacte d’actionnaires constitue le premier rempart contre les dérives actionnariales. Sa rédaction procède de la préservation des intérêts communs. Elle doit donc faire l’objet d’un effort attentif et scrupuleux de la part des parties prenantes et du chef d’entreprise en premier lieu. Pour l’élaborer il est d’ailleurs fréquent de recourir à des spécialistes : « l’acte n’a pas à être rédigé par un avocat ou un notaire, mais […] un tiers neutre et objectif abordera les différentes questions sans parti pris » résume ainsi L’Entreprise. Rares sont les entrepreneurs à avoir une vocation innée pour le droit. Pour l’écrasante majorité d’entre eux, se faire conseiller pour fixer les contours d’un cadre de référence semble donc encore la solution la plus sécurisante.