Il est frappant de constater, du moins en France, la périodicité d'un débat sur la question de l'utilité des prisons et, plus largement, sur le sens de la peine : à quoi servent les prisons ?, se demande-t-on. Favorisent-elles la réinsertion ? Sont-elles, au contraire, un facteur de désocialisation et, par suite, de délinquance ?
Derechef, ces questions ont été revisitées récemment à l'occasion de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive, dont le jury a remis son rapport au Premier ministre le 20 février 2013.
Les conclusions de ce rapport sont sans appel : l'emprisonnement doit être envisagé comme une sanction secondaire, et son adoption comme marginale à l'égard des peines de probation qui sont jugées plus prometteuses et qui s'exécutent en milieu ouvert, c'est-à-dire en dehors des établissements pénitentiaires. Il n'est pas inopportun de rappeler également que la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 allait, en quelque manière, dans le même sens, puisqu'elle avait tout particulièrement adopté le principe de l'extension du placement sous surveillance électronique (la prison dite « à domicile »), en lieu et place d'une peine d'emprisonnement de deux années.
Une efficacité douteuse
Quoique ces questions, qui ne sont pas sans engager une vision foncièrement politique de la pénalité, soient largement relayées par les discours des politiques, on observe nettement, à l'inverse, depuis au moins une décennie, une tendance à l'augmentation du nombre d'incarcérations et même un mouvement de hausse de la surpopulation carcérale -, tout se passant comme si les péroraisons sur le sens et l'état des prisons pour peine, depuis leur instauration à la fin du XVIIIe siècle, n'avaient qu'un effet de piétinement et permettaient, tout au contraire, la consolidation du système existant. Autrement dit, bien qu'un certain nombre de modérés s'accordent pour dire que la prison aggrave plus le problème de la délinquance qu'elle ne le résout, et qu'en outre elle coûte cher pour une efficacité douteuse, l'emprisonnement demeure une sanction très exploitée en France.
Si la question de l'utilité des prisons traverse le cours des âges depuis la Révolution française jusqu'à nos jours, il est saisissant de constater, non seulement la circularité du débat, mais aussi le fait que cette question n'est rien que l'occasion de la rumination de son propre échec, parce que la prison comme espace d'amendement du condamné ne convainquait déjà pas le XIXe siècle qui, à l'initiative des mouvements philanthropiques, s'était attaché à créer les Sociétés de patronage, dont la mission consistait à aider les libérés à reconstruire les liens rompus et viciés par la prison.
La question de l'utilité de la privation de la liberté et de ses conséquences nombreuses se donne, dès lors, historiquement, comme la condition de son inertie, attendu que les problèmes que rencontre l'enfermement aujourd'hui étaient, en réalité, déjà ceux d'hier, et même, ceux de sa naissance, et que, à vouloir réformer la prison, l'histoire enseigne qu'elle se trouve, en réalité, singulièrement renforcée dans son principe et son dispositif. Pour le bien comprendre, deux exemples historiques suffiront à étayer cette idée d'une crise des prisons à la fois « neuve et éculée ».
Des causes historiques
D'une part, à la veille de la Révolution française, comme il y avait au moins 30 000 prisonniers disséminés dans plus de 10 000 lieux d'enfermement hétéroclites, mal aérés et dominés par la rapacité des geôliers, tous les grands débats sur la prison avaient déjà été abordés, notamment par Malesherbes, qui a été ministre sous Louis XVI, et Lepeletier de Saint-Fargeau, qui a été président du Parlement de Paris, puis député à l'Assemblée constituante au lendemain de 1789. Même sous la Révolution, lors même que la prison devenait la peine emblématique des philanthropes et qu'elle était brandie comme une peine plus humaine, elle a été considérablement mortifère, consécutivement à la surpopulation carcérale, aux arrestations des opposants politiques et à l'enfermement des pauvres et de ceux qu'on appelait alors les pailleux, les dettiers, les vagabonds.
D'autre part, si, un siècle environ après la Révolution française, sous la IIIe République, la grande enquête parlementaire de 1872, appelée la commission d'Haussonville, a abouti à la promulgation, le 5 juin 1875, de la Loi Béranger, qui pose comme principe l'urgence à ce que soit généralisé, dans les prisons départementales, l'encellulement individuel, il n'en demeure pas moins que, depuis le mois de juin 2013, plus de 13 000 personnes sont en surnombre dans les établissements pénitentiaires français, et que la réforme pénitentiaire de la IIIe République ne manque pas, rétrospectivement, de se donner comme un vœu pieux. La Loi Béranger et, dans son sillage, la création de la Société générale des prisons, ont été, au bout du compte, un échec, ou, du moins, des moments où la question des prisons continuait à ressasser sa crise.