Certains parlent de turbulences festives, d'autres évoquent « une tentative d'homicide en bande organisée » , et, entre les uns et les autres tout dialogue est impossible. C'est un des drames de Marseille : on n'y parle pas partout le même langage.
Jusqu'où va-t-on banaliser la violence qui empoisonne la vie des Marseillais ? Il a suffi qu'une bande de voyous « descendus » de leur cité s'en prenne à un maître nageur de la police nationale et tente de le noyer en lui maintenant la tête sous l'eau, plage des Catalans à Marseille, pour que l'opinion publique prenne soudain conscience de la sauvagerie d'une partie de sa jeunesse. Comment peut-on avoir l'impudence, devant des centaines de familles et d'enfants, de saccager ainsi le symbole même de l'autorité dans notre pays ?
Cet accès de fièvre hystérique n'est pourtant pas le premier ni le dernier. En fin d'année, on recensera une vingtaine de morts violentes liées aux règlements de comptes consécutifs aux conflits de territoires engendrés par le trafic de drogue, on ne comptera même plus les agressions, les cambriolages ou les vols à main armée tant ils heurtent la somnolence statistique et… l'on s'apercevra que Marseille n'a pas changé.
Quel que soit le gouvernement en place, que l'on subisse le laxisme discret des uns ou le laxisme affiché des autres, la violence semble être une fatalité consubstantielle à Marseille. La tentative d'homicide des Catalans sera vite rebaptisée « incivilité estivale », un euphémisme fourre-tout destiné à atténuer l'impact des délits et des crimes qui, naguère, étaient sanctionnés à proportion du désordre qu'ils causaient dans la société. « La perversion de la démocratie commence toujours par la fraude des mots », disait Platon. On ne saurait mieux dire. A « l'incivilité » des « petits polissons » s'ajoute le « bizness » , c'est à dire le trafic de stupéfiants, pardon de « produits », pardon de « substances » …
A Marseille, chacun se croit autorisé à faire ce qu'il veut quand il veut
Au volant, à pied, dans les bus, en cyclo, dans les magasins, au cinéma, sur les plages, etc. Ce sans gêne généralisé et l'anarchie qui en découle, faute d'autorité, entraînent un climat malsain, empreint d'exaspération et de résignation.
« Comment a-t-on pu laisser nos enfants devenir des monstres ? », s'est demandé publiquement l'excellent acteur Moussa Maaskri lors d'une réunion de quartier au sein du centre social de sa cité « La Bégude » dans les quartiers nord. Bonne question. Mais personne ne lui répond.
Personne ne lui répond car il n'y a plus personne au bout du fil. Les commerçants, lassés des braquages et déprédations, ont fermé boutique, les travailleurs sociaux soupçonnés d'être des « balances » ont déserté le terrain, les policiers sont aux abonnés absents (« surtout pas de vagues »), les mères seules au foyer ne peuvent plus faire face : reste le chaos. La chienlit. La débandade.
Ce tableau catastrophique de « Marseille Orange Mécanique » n'est pas inéluctable
n peut encore rétablir l'ordre à Marseille mais il y faudra une certaine constance des pouvoirs publics et ce n'est pas gagné d'avance. Il faudra s'inspirer de l'exemple de Rudolph Giuliani et Michaël Bloomberg, maires de New York depuis 1994, qui ont réussi à rétablir l'ordre et la sécurité dans cette grande ville américaine en appliquant sans faiblesse la « tolérance zéro ». Il s'agit d'une application ferme de la loi dans toute sa rigueur, en ignorant l'excuse sociale et l'alibi du chômage qui servent trop souvent de passe-droits à des magistrats obnubilés par l'assistance sociale. Les trafiquants des quartiers nord qui accumulent quotidiennement des fortunes ( 30 à 40 000 euros par jour, suivant les cités) vous le confirmeront : ils ne craignent ni la police ni la justice. La seule chose qu'ils redoutent, c'est de passer quelques années aux Baumettes. Eh bien, c'est sans doute par là qu'il faudra passer, par la case prison, pour dissuader les gangsters.
Le jour où les policiers ( ceux qui font leur métier) n'arrêteront plus le même dealer pour la seizième ou la dix septième fois, qu'ils cesseront de déférer des petits prédateurs pour la trentième ou la quarantième fois devant un juge qui se contentera d'admonester ces « petits garnements », le jour où l'on pourra enfin voir un contrôleur sur la ligne ferroviaire Marseille-Aix où plus personne ne paie son parcours depuis belle lurette, le jour où les vigiles du métro cesseront de fermer les yeux sur les innombrables resquilleurs, le jour où on ne risquera plus un coup de couteau mortel lorsqu'on fait une observation à un jeune qui occupe l'espace public sans se soucier d'autrui, alors ce jour-là Marseille aura changé.
Marseille aura changé lorsque les pouvoirs publics cesseront de répandre leurs mesures poudre aux yeux qui ne règlent jamais rien et lorsque les services sociaux finiront de colmater les brèches les plus béantes avec des rustines ou des sparadraps. Il suffit de se souvenir qu'une politique volontariste peut
mettre un terme à tous les excès : pas seulement à New York. 300 policiers missionnés à cet effet ont réussi à neutraliser la French Connection en quatre ans dans les années 70 à Marseille. Les peines infligées aux trafiquants interpellés ont été doublées : résultat, la « French » a été anéantie.
Ce qui était vrai hier l'est aujourd'hui
Même si la tolérance de la société à l'égard du cannabis s'est propagée insidieusement partout. L'Etat peut réussir à « reconquérir » les cités de non droit mais il ne pourra le faire qu'avec le concours actif de la population. Or, la seule loi respectée dans certains quartiers, c'est celle de l'omerta. La loi du silence. « Si tu parles on te bute et on égorge ta mère »…
La réprobation sociale qui se manifestait lors de chaque répression d'une infraction publique permettait aux policiers d'agir sans se soucier de « l'effet d'émeute » ou des accusations de racisme proférées contre eux. C'est ainsi qu'on a permis l'éclosion des cités du « shit », du « shoot » et du « chut ».
Application ferme de la loi, peines dissuasives et sursaut citoyen ne sont pas les seuls ingrédients de la renaissance marseillaise. Il faudrait aussi que les élus montrent l'exemple de la probité et qu'ils cessent leur clientélisme de bas étage, qui est à la politique ce que le racolage est au banditisme, il faudrait que le conseil municipal ne ressemble plus à un gigantesque « gagatorium », il faudrait surtout que les Marseillais des quartiers sud, qui sont un peu moins pauvres que ceux du nord, se retroussent les manches au service des déshérités des quartiers nord.
C'est le volet le plus important de la résurrection de Marseille : l'éducation. Les jeunes ont davantage besoin de théâtre, de livres, de Corneille, Racine, Molière et Victor Hugo que de danse orientale, de couscous et de maillots de l'OM. Ils ont besoin qu'on leur trace un chemin, le seul qui vaille, celui du travail, de l'honneur, du respect, de l'assimilation française. Cet effort permettra, peut-être, à Marseille d'enrayer « l'ensauvagement » inquiétant des quartiers et la barbarie des comportements qui risquent, si l'on n'y prend garde, de la transformer en capitale orange mécanique.