Les condamnations en France

Des jeunes essaient de tuer des policiers à coups de marteau et sortent libres du tribunal. Des violeurs en série sont libérés sans précaution et récidivent dans la foulée. Des multirécidivistes accumulent les sanctions symboliques avec un sentiment d’impunité. 

Face à un ministère de la Justice qui ne croit plus à l’utilité de la prison, ce livre choc démonte les illusions d’une pensée dominante qui s’évertue à nier la réalité des faits et des chiffres. Quand l'insécurité éclate, la question n'est plus : « Que fait la police ? », mais ; « Que fait la justice ? » 

Parmi les autres condamnations non symboliques, il faut compter 170 000 amendes prononcées chaque année par les tribunaux correctionnels, et 25 000 condamnations à des travaux d’intérêt général. On voit à quel point notre système manque de peines intermédiaires « non symboliques» pour les autres cas présentés à la Justice, qui se comptent pourtant par centaines de milliers. En définitive, la prison ferme reste l’exception, le « dernier recours » voulu par la loi.

Seule une infraction juridiquement constituée sur trente (122 000 sur 4 millions) aboutit à une peine de prison. Or, ces 4 millions d’infractions n’étant que la partie émergée de l’iceberg de la délinquance, la prison ferme s’applique en réalité au mieux à une infraction sur cinquante. Et la proportion chute encore pour les mineurs, dont on reconnaît la fragilité. La prison ne s’applique plus à 10 % des auteurs identifiés, comme pour les majeurs, mais à 3 % d’entre eux (4 700 sur 170 000). Les durées de détention sont aussi beaucoup plus courtes, ce qui explique que les mineurs représentent environ 1 % de la population carcérale, alors qu’ils sont responsables de 18 % des crimes et délits identifiés.

DES DÉLAIS DÉMESURÉS AVANT LA SANCTION

C’est parmi les condamnés à de la prison ferme que l’on trouve les cas d’impunité les plus choquants. D’abord parce que la condamnation intervient souvent plusieurs mois, voire des années après la commission de l’infraction, ce qui provoque un sentiment d’impunité dans l’intervalle. Ensuite parce qu’une partie des délinquants condamnés à de la prison ferme – un tiers environ – ne vont jamais en prison, soit parce que leur peine est « commuée » en une autre peine plus douce, soit parce que la condamnation reste purement et simplement inexécutée. Dans tous les systèmes judiciaires, il existe nécessairement un délai entre le moment où l’infraction est découverte et le moment où la Justice prononce une condamnation. Mais en France, ce délai est particulièrement élevé.

Certes, la comparution immédiate permet un jugement rapide, et parfois l’exécution tout aussi immédiate de la peine de prison. Dans ce cas, le délai entre l’infraction et la sanction est infime : vingt-quatre ou quarante-huit heures tout au plus. Pas d’impunité alors. Mais la comparution immédiate n’est pas la règle : en 2009, elle représentait seulement 15 % des condamnés à de la prison ferme. Dans les autres cas, le délinquant reçoit une convocation au tribunal correctionnel pour une audience qui n’aura lieu que plusieurs mois après les faits. La presse s’amuse des situations absurdes créées par ce système : « Arrêtés et remis en liberté quatre fois en treize jours » (L’Union, Ardennes, 27 août 2010) ; « Arrêté trois fois dans la journée par la police… » (L’Indépendant, Carcassonne, 24 juin 2012) ; ou encore « un voleur interpellé 5 fois en l’espace de 10 jours » (Sud-Ouest, Bordeaux, 8 février 2011).
Le journal L’Union est allé plus loin en racontant les hauts faits de trois « jeunes » d’une vingtaine d’années : « Lorsque les policiers les avaient interpellés la première fois, le 13 août, c’était dans le cadre d’une affaire de cambriolage au domicile d’un particulier. […] Le 17 août, à Renwez, les trois mêmes étaient tombés, par hasard, sur un contrôle routier. Les gendarmes avaient trouvé du cannabis dans la voiture.
Le 23 août, dans le cadre d’une autre enquête, relative à un vol de métaux conséquent, commis chez Derichebourg, en juillet à Charleville, les trois jeunes malfaiteurs étaient à nouveau arrêtés à Nouzonville pour ce motif. Une fois de plus, les enquêteurs, lors des perquisitions, tombaient sur de la résine de cannabis. Vol, stupéfiants : pour autant pas de comparution immédiate, mais simplement une convocation à se présenter devant le tribunal… en février prochain, toutes les audiences étant complètes jusque-là. […] Ils se sont empressés aussitôt d’aller casser la figure à l’homme qui les avait “balancés” pour le vol de métaux, en le menaçant d’autres sévices s’il maintenait son témoignage. Les gendarmes les ont donc “coffrés”, une nouvelle fois, ce mercredi 25 août, pour ces faits de violences particulièrement graves. Eh bien, malgré tout, cela n’a pas empêché qu’ils soient encore relâchés, à l’issue de leur présentation aux juges.

Avec une seconde convocation, également pour février prochain1. » Éloquente et pourtant fréquente situation en matière de délits. 1. L’Union, 27 août 2010, « Arrêtés et remis en liberté quatre fois en treize jours ! » Pour les mineurs, la « comparution immédiate »n’existe même pas. Ce qui explique en partie pourquoi le sentiment d’impunité des mineurs est si vif. Un mineur multirécidiviste, arrêté par la police, peut soit se voir rappeler à l’ordre de façon symbolique, soit être convoqué plusieurs mois plus tard devant un tribunal. Auquel cas il est généralement remis en liberté dans l’intervalle, la « détention provisoire » n’étant admise, chez les mineurs, que pour les crimes les plus graves.

C’est la raison pour laquelle, par exemple, les trois mineurs interpellés le 28 janvier 2012 pour avoir commis un « viol en réunion » en plein cœur de Lyon, dans une coursive de la Part-Dieu, ont été remis en liberté dans l’attente de leur procès.
Dans l’intervalle, et bien que sous contrôle judiciaire, ils sont à la fois libres et impunis.

« Quand la justice crée l'insécurité », Xavier Bébin, Editions Fayard, 19 Euros