Qu’est-ce que punir ?

« Le Placement sous surveillance électronique, en tant que prison à domicile, est une mesure qui bouscule les fondements même de l’habitatio

Pages 124-126

L’habitatio, en tant que domus (maison), est le lieu de la protection par excellence contre les agressions extérieures, l’espace où se jouent la vie intime, la sphère privée, le droit au secret et aux pensées inavouables. En tant que symbole de l’enveloppe protectrice, l’habitatio est le lieu primitif et originaire de l’être démuni, seul, vulnérable. A ce titre, il représente une protection plus inconditionnelle que celle issue du vêtement (vestis), dans la mesure où rien n’empêche un individu de demeurer nu chez soi, alors qu’il ne peut le faire dehors, pour des raisons liées tant à la froidure qu’à la pudeur et à l’éducation.

Lieu de la protection originaire, comme celui du ventre de la mère vis-à-vis de son enfant, selon une thématique psychologique, l’habitatio voit son principe même remis en question par l’apparition des dispositifs de surveillance électronique qui fixent les condamnés à leur domicile. Un tel dispositif fait du domicile le théâtre de l’exécution de la peine, le lieu où se joue la pénalité, d’où il résulte l’usurpation du domaine privé par la puissance publique. Par suite d’un renversement complet, l’habitatio se présente, dès lors, comme l’espace, non plus du retranchement, mais de l’exposition toujours possible aux attaques extérieures. Les dispositifs de surveillance électronique, qu’ils soient mobiles ou non, ont en commun de faire voler en éclats la distinction entre l’intérieur et l’extérieur, l’hospitalité et l’hostilité, le plaisir et la peine. Bien que lieu originairement propre, l’habitatio n’appartient plus en propre au condamné, puisqu’il se trouve investi, jour et nuit, par la puissance publique, ne serait-ce que par la pose du matériel électronique au domicile […].

Lieu originairement permissif, libre, voire fantaisiste, le domicile est dorénavant, sous l’action de la surveillance électronique, cet espace où se déploient l’interdiction et la méfiance. Loin d’être ce lieu du relâchement vis-à-vis de la pression sociale, l’habitatio devient un des rouages du processus de normalisation et de rééducation, un espace de contrainte. Alors même que les associations qui accompagnent les sans-abri et les mal-logés dans leur recherche d’un hébergement ou d’un appartement (un « ap-partement » est ce qui est précisément à part, divisé, ce qui isole donc des autres), considèrent qu’il n’y a pas de progrès humain sans la protection des plus faibles et qu’une telle protection doit nécessairement passer par un « droit au logement », les promoteurs de la surveillance électronique prennent totalement le contre-pied de cette revendication en s’arrogeant un droit, exactement inverse, à l’incursion. Ce droit à l’incursion est une des caractéristiques majeures des Placements sous surveillance électronique ».

Qu'est-ce que punir ? Du châtiment à l'hypersurveillance, Tony Ferri, Editions L'Harmattan.