De la violence à la négation du droit

Dans la mesure où la procédure criminelle ne se nourrit, en dernière analyse, que de constatations matérielles, on palliera l’immatérialité du délit psychologique par ce petit élément de matérialité, cette incarnation de l’expertise psychiatrique, qui se nomme certificat médical. 

Tandis que, dans le cas de la violence physique, le médecin ne fait que confirmer, ou nommer, ce qui peut, très généralement, se constater (au moins partiellement) à l’œil nu, le voilà investi, dans le cas du dommage psychologique, du pouvoir de le faire accéder à l’existence, ou de le disqualifier comme insignifiant.

« Lorsque la situation n'est pas claire, déplore M.-F. Hirigoyen, beaucoup de magistrats ont tendance à classer sans suite les plaintes qui ne sont pas suffisamment étayées. » Que le doute puisse profiter à l’accusé, voilà qui est en effet insupportable. « Si les magistrats communiquaient entre eux, poursuit-elle, ils pourraient se faire une intime conviction » : ainsi l’expertise souveraine de la psychiatre se substitue-t-elle, via l’intime conviction du magistrat, aux nécessités périmées de la preuve. Dans le domaine de la violence psychologique, l’expert psychiatrique règne en dieu.

Pour illustrer le caractère déterminant de l’intervention de l’expert, empruntons à nos sources deux listes de faits relevants possiblement de la violence psychologique :

Cas typiques et avérés de violence psychologique conjugale (liste 1) :

  • Empêcher de rencontrer ou de parler avec des amis ou membres de la famille ;
  • Cesser de parler, refuser totalement de discuter ;
  • Empêcher de parler à autrui, par jalousie ;
  • Empêcher d’avoir accès à l’argent du ménage ;
  • Critiquer, dévaloriser ;
  • Faire des remarques désagréables sur l’apparence physique ;
  • Laisser au bord de la route ;
  • Ne pas tenir compte de son opinion.

Cas typiques et avérés (liste 2) :

  • Refuser totalement de s’investir dans les tâches ménagères ;
  • Prendre la carte de crédit ;
  • Laisser au bord de la route en hurlant de descendre ;
  • Humilier devant ses amis ;
  • Injurier publiquement une tierce personne par jalousie ;
  • Jeter à l’eau son portable ;
  • L’appeler plus de trente fois sur son portable en trente minutes ;
  • Déchirer ses vêtements ;
  • Se murer dans un silence total pendant huit jours ;
  • Jeter ses affaires par la fenêtre, dans la rue ;
  • Vandaliser la voiture de son conjoint.

 

Constatons que ces deux listes sont quasiment identiques. La première liste est issue de l’enquête téléphonique précitée sur la violence contre les femmes (« Enveff »), la seconde du magazine féminin Cosmopolitan qui titrait, en août 2012, dans sa rubrique « Psycho », sur les femmes qui « pètent les plombs » contre leur conjoint « pour aller mieux ». Exactement les mêmes faits qui sont de violence lugubre (et masculine) dans l’Enveff, deviennent de sympathiques pétages de plombs rigolos (et féminins) dans Cosmopolitan : le délit mental est un bonheur d’interprétation.

L’expert-démiurge sera-t-il capable, dans chaque cas, de faire le départ entre ce qui relève de la « dureté » ou du « pétage de plombs » (pénalement irrelevants) et ce qui révèle « l’emprise » (délit pénal), sans mobiliser ses préjugés ou préférences subjectives (sympathie que lui inspire la victime, aversion que lui inspire le bourreau supposé, histoire personnelle, idéologie « genriste », etc.) ? N’y aurait-il pas comme le début de la possibilité d’un insignifiant conflit d’intérêt, dès lors que le psychiatre sera, le plus souvent, rémunéré, à l’entame de la procédure, par celui dont il constate l’état de victime ? Les femmes disent-elles toujours la vérité ? Vaines préoccupations que tout cela, selon M.-F. Hirigoyen, car s’érige à la frontière entre le conflit simple et la violence abjecte une borne objective : la peur. Lorsque la victime vit dans la peur du conjoint psychologiquement violent, il est sous son emprise. Or, souligne la psychanalyste, « la peur ne se simule pas ».

Encore ce questionnement critique présume-t-il la bonne foi, la parfaite conscience professionnelle du psychiatre. Un reportage de la télévision de service public belge montrait récemment comment se procurer, à Bruxelles, des certificats médicaux pour la somme de cinq euros ; d’autres médecins, plus exigeants, vont jusqu’à demander dix, voire même trente euros pour certifier, ou prescrire, ce qui leur est demandé, au terme d’un consultation hypocratique de trois minutes.

Cinq, dix ou trente euros, tel est donc la valeur approximative de la liberté, de l’honneur et de la paternité depuis l’entrée en vigueur du délit psychologique. N’y voyons pas une formule, un slogan à l’emporte-pièce, une simplification abusive : il n’existe probablement plus un seul commissariat de police, plus une seule gendarmerie, en France, bientôt en Europe, déjà en Espagne, qui refuserait, à présent que des programmes de conscientisation les y ont dûment préparés, d’acter la plainte d’une femme en mesure de produire un certificat médical constatant, sur sa seule foi, la violence et les dommages psychologiques dont elle se dit l’objet.

 

Extrait  » De la Violence à la Négation du Droit« , par Drieu Godefridi