Plaidoyer pour l’ouverture des commerces le dimanche

Avant la colère, l'exaspération, le sentiment d'injustice face aux rigidités d'une réglementation qui ignore les réalités quotidiennes, avant tout cela, il y a l'incompréhension. J'ai réalisé toute ma carrière dans la grande distribution. J'ai appris beaucoup de choses.

J'ai connu des très bons moments (la plupart du temps), j'ai subi des revers, j'ai rencontré un tas de personnes passionnantes, j'ai toujours travaillé avec la même passion. Aujourd'hui, je ne baisse pas les bras mais j'avoue que le coup est dur à encaisser. Mis en demeure par l'inspection du travail, je passe devant le tribunal le mercredi 10 juillet. Mon « crime » ? Je me suis rendu coupable aux yeux de l'inspection du travail d' « ouverture illégale du dimanche. »

Est-ce que j'ai forcé des clients à venir faire leurs courses dans mon magasin ? Bien-sûr que non !

Mes clients sont heureux de trouver de quoi manger entre deux trains, de faire une dernière course dans mon Carrefour City avant de rentrer chez eux. Dans une gare qui voit passer près d'un demi-million de passagers par jour, je réalise la moitié de mon chiffre d'affaires sur le snacking, la vente des en-cas. Le dimanche ne fait pas exception, et l'absence d'un tel service serait ressenti comme un réel manque. Mes clients sont des voyageurs qui rentrent de week-end, d'autres sont des travailleurs du dimanche : des infirmières, des ambulanciers, des gendarmes, des pompiers, des ouvriers d'usines qui font les 3/8 tous les jours de la semaine. Au nom de quel principe les empêcher de trouver un magasin ouvert le dimanche pour se ravitailler ?


Contrairement à ce que certains pensent, l'ouverture de certains commerces le dimanche n'est pas une lubie de chefs d'entreprise. Elle répond à une demande. Contrarier cette demande au nom d'un principe économique sans autre fondement que religieux est un non-sens économique. D'autant que certains magasins, les magasins d'ameublement et de jardinage notamment, pour une raison obscure, peuvent ouvrir le dimanche. En d'autres termes, la loi accepte qu'on achète une plante verte mais refuse qu'on s'achète de quoi se faire à dîner le soir. Par ailleurs, pourquoi la réglementation autorise-t-elle certaines zones touristiques à ouvrir le dimanche, mais ignore le caractère spécifique des gares parisiennes, alors même que des milliers de touristes utilisent les trains le dimanche ? Une société qui ne sait pas où sont les priorités a de sérieux problèmes !

Est-ce que j'ai forcé mes salariés à venir travailler le dimanche ? Bien-sûr que non !

 

Les premières victimes de la menace de fermeture qui pèse sur mon magasin sont précisément les salariés que j'emploie ce jour-là. Un tiers des 33 salariés en CDI qui travaillent au Carrefour City de Saint-Lazare sont des étudiants qui n'ont que les week-ends pour travailler et financer leurs études. De leur propre initiative, ces jeunes ont d'ailleurs écrit une lettre au Ministre du Travail et au Préfet, en expliquant tout l'intérêt qu'ils ont à continuer à travailler le dimanche. Ils ont été lus mais pas entendus et encore moins compris. « La loi reste la loi » leur a-t-on répondu en substance. Peu importe qu'elle soit absurde, injuste ou économiquement destructrice, et qu'elle les contraint à financer leurs études par d'autres moyens ! Lesquels d'ailleurs ? Si je les licencie parce que je ne peux plus ouvrir le dimanche, comment vont-ils financer leurs besoins ? La question reste ouverte…et aucune réponse n'y est apportée. Il n'y a pas que les étudiants qui trouvent intérêt à travailler le dimanche : 80% des membres de mon équipe sont favorables à la poursuite du travail dominical. Une pétition a même été organisée par les salariés dimanche 30 juin ; 1640 signatures de clients qui nous soutiennent ont été recueillies.

Est-ce que mon activité nuit à l'Etat ou à une autre collectivité ? Bien-sûr que non !

Au contraire, que gagne l'Etat en menaçant des emplois ? Que gagne l'Etat en se privant de recettes fiscales, comme la TVA, ou du paiement des cotisations sociales à l'URSSAF qui seraient générées par les 17 000 euros de chiffre d'affaires que mon enseigne réalise le dimanche après-midi ?

Autant, il est légitime de vouloir encadrer la pratique du travail dominical, comme du travail de nuit d'ailleurs, pour protéger des salariés des pratiques abusives de certains patrons ; autant il est absurde de pénaliser les acteurs économiques de bonne volonté, qui veulent travailler et qui répondent à un besoin. Ni l'Etat, ni les entreprises, ni les collectivités quelle que soit leur taille ou leur secteur, ne sont aujourd'hui dans la situation de se payer le luxe de tarir volontairement des sources de croissance. La crise que nous traversons devrait inciter les autorités et l'inspection du travail à faire preuve de davantage de souplesse. D'autant que les modes de vie et de consommation (que l'on observe de très près entre les rayons des supermarchés) changent plus vite que les lois !