Polémique autour des Télécoms à La Réunion, que dit la loi ?

À La Réunion, la procédure de la future attribution des fréquences basses choisie par l’Arcep fait l’objet de vives critiques. En cause, une possible distorsion de concurrence au détriment de Zeop, l’opérateur local. Explications.

À La Réunion, l’Autorité de régulation des communications électroniques (Arcep) a fait la sourde oreille aux doléances de Zeop. Le seul opérateur local de l’île aux côtés des historiques Orange, SFR et Free dénonce en effet, depuis plusieurs semaines, une procédure d’attribution des fréquences basses — ces si précieuses « fréquences en or » — discriminatoire. La faute, selon l’opérateur appartenant au groupe familial Océinde, au mécanisme d’enchères choisi par le régulateur. Autrement dit, une attribution basée sur un critère financier, qui l’empêcherait de faire jeu égal avec ses concurrents.

Les enchères, une procédure d’attribution contestée

Comme souvent dans un tel cas, il est bon de revenir à ce que dit la loi. L’examen du caractère légal de la procédure choisie par le régulateur ne peut en effet se faire qu’à la lumière des textes qui régissent l’accès au spectre radioélectrique. En l’occurrence, le Code des communications électroniques européen.

Dont l’article 45 dispose que les États membres « veillent à ce que l’attribution de droits d’utilisation individuels du spectre radioélectrique pour les réseaux et les services de communications électroniques, la délivrance d’autorisations générales en la matière et l’octroi de ces droits par les autorités compétentes soient fondés sur des critères objectifs, transparents, favorables à la concurrence, non discriminatoires et proportionnés ». Toute la question ici est donc de savoir si une attribution de fréquences aux enchères repose sur un critère objectif, transparent et favorable à la concurrence.

Historiquement, le mécanisme d’enchères n’a jamais été utilisé outremer. En cause, justement, le critère financier au cœur de la procédure. En 2000, le président de l’Autorité de régulation des télécommunications d’alors, Jean-Michel Humbert, avait d’ailleurs affiché son opposition à ce système : « sa nature même en fait un processus non maîtrisable, laissé au seul choix des acteurs, qui conduit à une décision sur le seul critère financier; et ceci n’assure en aucun cas que les acteurs les plus riches soient les plus performants ». Un critère perçu comme non objectif, car « laissé au seul choix des acteurs ».

Quant à la concurrence, le système des enchères conduirait à « l’extinction programmée » des perdants, selon l’ancien président de l’autorité. Une analyse confirmée seize ans plus tard par l’autorité elle-même, lors de l’attribution de fréquences 4G, à La Réunion justement : dans un communiqué de presse publié le 2 février 2016, l’Arcep écrivait ainsi : « Afin de rendre toujours plus accessibles les offres de services mobiles outre-mer, où les services de connectivité numérique sont déjà plus coûteux qu’en métropole, l’Arcep et le Gouvernement ont fait le choix de ne pas attribuer les fréquences par enchère».

Que dit la loi?

Pour autant, le mode d’attribution aux enchères choisi par l’Arcep n’est pas « illégal » en soi. Rien n’interdit en effet à l’autorité d’avoir recours à cette procédure. Toutefois, le caractère « équitable » du mécanisme doit s’apprécier à la lumière de la situation spécifique qui est celle de La Réunion. C’est d’ailleurs sur ce point que se concentrent les critiques envers l’autorité. Nassir Goulamaly, dirigeant de Zeop, a ainsi exprimé la crainte que l’opérateur sorte affaibli de cette attribution : « le régulateur n’avait jamais lancé d’enchères en outremer. Nous ne pouvons pas nous mesurer à des acteurs qui ont une assise financière beaucoup plus importante. Même un euro, c’est trop cher. Nos activités sont mises à mal par une autorité qui favorise les puissants.» 

Dans son viseur, entre autres, le choix de l’Arcep de fixer un plafond de détention de fréquences basses à 30 MHz pour chaque opérateur : en l’état, le dispositif prévoit un premier tour au cours duquel chaque participant se verra octroyer un lot de 5 MHz de fréquences basses. À l’issue de celui-ci, Orange et SFR disposeront chacun de 27,4 MHz et ne pourront donc participer au second tour, qui consiste en la mise aux enchères de deux lots supplémentaires de 5 MHz. Ne pouvant rivaliser financièrement avec Free, Zeop ne peut espérer obtenir, au total, 10 MHz, contre une trentaine pour chacun de ses concurrents. Une situation inéquitable selon l’opérateur qui pourrait justement être évitée, toujours selon lui, par un abaissement du plafond de détention de fréquences basses.

Ce que pourrait tout à fait décider l’Arcep, si l’on se réfère au code des communications électroniques européen, et plus particulièrement à son article 52, qui dispose que « les autorités de régulation nationales (…) favorisent une concurrence effective et évitent les distorsions de concurrence sur le marché intérieur lorsqu’elles décident d’octroyer, de modifier ou de renouveler des droits d’utilisation du spectre radioélectrique pour les réseaux et les services de communications électroniques.» Et pour l’application duquel, la loi reconnaît au régulateur le droit de «limiter la quantité de bandes du spectre radioélectrique pour lesquelles des droits d’utilisation sont octroyés à une entreprise donnée».

Plus encore, l’alinéa « c. » de l’article 52 reconnaît expressément au régulateur la possibilité de conditionner, voire de refuser « l’octroi de nouveaux droits d’utilisation du spectre radioélectrique ou l’autorisation de nouvelles utilisations du spectre radioélectrique dans certaines bandes (…) afin d’éviter des distorsions de concurrence dues à une attribution, une cession ou une accumulation de droits d’utilisation ».

Et cet article de disposer également que les autorités de régulation doivent tenir compte des conditions de marché pour prendre leurs décisions, et fonder celles-ci sur l’« évaluation prospective objective des conditions de concurrence sur le marché, de la nécessité ou non de ces mesures pour maintenir ou assurer une concurrence effective, et des effets probables de ce type de mesures sur les investissements existants et futurs réalisés par les acteurs du marché, notamment pour le déploiement de réseaux ».

Dès lors, si le choix du mécanisme par enchères choisi par l’Arcep, pour l’attribution prochaine de fréquences basses à La Réunion, n’enfreint en rien le code des communications électroniques européen, celui-ci n’est pas complètement en phase avec la vision qu’il prône. Ce qui peut justifier les critiques mis en exergue par Zeop et certains experts du secteur.

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