Liliane Bettencourt : la gardienne du temple

Au début des années 1930, les affaires d’Eugène Schueller prospèrent. Il roule dans une Rolls-Royce conduite par un chauffeur, habite boulevard Suchet, dans le XVIe arrondissement, et fait construire en Bretagne « à l’Arcouest, face à l’île de Bréhat, une superbe propriété qui est encore aujourd’hui le lieu de villégiature préféré de sa fille », raconte Christophe D’Antonio.

Liliane est éduquée chez les sœurs dominicaines. Pendant les vacances, son père l’envoie en stage à l’usine. Toujours dans Paris Match, elle se souvient de l’emballage et du conditionnement. « J’avais un plateau couvert d’étiquettes et de colle et nous conditionnions les bouteilles. » Elle ajoute : « J’en étais ravie car je lui racontais L’Oréal, les gens qui y travaillent, les gens qui m’ont impressionnée, les produits fabriqués. C’était magnifique de lui parler de tout cela. » Liliane Bettencourt a-t-elle eu, comme elle le prétend, une enfance et une adolescence vraiment heureuses ?

Une femme doit servir les hommes

 

« Magnifique », et pourquoi pas « merveilleux ». Ce sont les mots qui reviennent sans cesse pour évoquer Eugène Schueller et L’Oréal, un siècle et des poussières de beauté lumineuse. À aucun moment elle n’a imaginé remettre en cause le machisme de son père, pour lequel une femme doit forcément être au foyer… et certainement pas dirigeante chez L’Oréal, même à un niveau intermédiaire. « On n’est pas général parce qu’on est fils de général. On n’est pas patron parce qu’on est fils de patron », répétait Eugène Schueller. Alors « fille de », cela ne lui est jamais venu à l’esprit. De toute façon, il avait choisi de longue date son successeur : François Dalle, ancien étudiant du foyer la Réunion des étudiants qui, au 104 de la rue de Vaugirard, entre Montparnasse et le Quartier latin, accueillait aussi François Mitterrand et André Bettencourt. Mais au lendemain de la guerre, Eugène Schueller pouvait-il faire autrement que donner le gouvernail de L’Oréal à François Dalle, la main de sa fille à André Bettencourt et le nerf de la guerre à François Mitterrand pour entamer une carrière politique ? Vraisemblablement pas.

« Sa fille occupa sagement la place qui lui était assignée : “gardienne du temple”. Et bien sûr actionnaire majoritaire de l’entreprise paternelle », résume Marie-France Etchegoin. Un rôle que Liliane Bettencourt n’a jamais contesté et qu’elle s’est appliquée, tout au long de sa vie, à jouer avec le maximum de professionnalisme. C’est d’ailleurs l’un des points majeurs de discorde avec sa fille Françoise, qu’elle accuse de ne guère s’investir dans le géant des cosmétiques. L’essayiste britannique Ruth Brandon, qui a comparé les parcours respectifs d’Helena Rubinstein et d’Eugène Schueller, se montre
très sévère vis-à-vis de Liliane Bettencourt : c’est « une héritière qui n’a rien fait, qui s’est conformée à l’image que son père, qu’elle adorait, avait des femmes. Une femme doit servir les hommes. Et Liliane est une énorme fontaine d’argent, que les hommes ont utilisée. »

 

Extrait de « Les Bettencourt, les derniers secrets » par Ian Hamel.