Pigiste : un statut toujours précaire

La démocratie n’est pas la seule victime de la crise de la presse. Précaires, les journalistes pigistes sont également sur le qui-vive.

« Chiens de garde » de la démocratie, les journalistes sont indispensables à une société ouverte et transparente. Mais pendant qu’ils protègent la démocratie, qui protège les journalistes ?

A l’origine, le « pigiste » était un journaliste indépendant lié à l’entreprise par un contrat de louage d’ouvrage ou d’entreprise. Sa situation a évolué avec la loi Cressard (1974), qui lui reconnaît le statut de journaliste professionnel et la présomption de salariat (article L761-2 du Code du travail) : toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure le concours d’un journaliste est présumé être un contrat de travail. Voilà pour la loi française.  Mais qu’en disent les organisations internationales ? Selon l’UNESCO, « il est essentiel pour la démocratie et la bonne gouvernance de s’assurer que chaque journaliste peut faire son travail en toute sécurité ». Ce qui est loin d’être le cas dans le monde, où 56 journalistes ont été tués depuis le début de l’année, et même en France, où le journalisme constitue « l’un des métiers les plus stressants ».

Si les reporters hexagonaux ne sont pas confrontés aux mêmes menaces que leurs confrères mexicains, russes ou chinois, ils doivent toutefois « faire face aux risques psychosociaux et physiques d’une profession soumise au stress à la fois de la rapidité et de la qualité de l’information à délivrer », selon une étude d’Officiel Prévention, société spécialiste de la santé au travail. Confrontés à un environnement extrêmement concurrentiel et soumis à l’instantanéité de l’information, « les systèmes organisationnels demandent aux journalistes une grande réactivité, productivité et compétitivité, avec comme conséquence éventuelle une surcharge mentale », ajoute l’étude.

« On a peur »

Mais si l’ensemble des journalistes sont concernés par les difficultés économiques et les contraintes politiques qui pèsent sur les médias français, il est une catégorie particulièrement exposée car particulièrement précaire. « Nous pigistes, journalistes indépendants, nous vivons la crise des médias de plein fouet […] Variable d’ajustement des journaux, nous subissons depuis 2008 une baisse constante des tarifs des articles et une dégradation croissante de nos conditions de travail », dénonçaient plusieurs collectifs de pigistes l’an dernier.

En France, le statut du journaliste pigiste est en effet précaire, comme le rappelle Le Parisien aux étudiants qui pourraient être tentés par ce métier. « Étape quasiment incontournable dans le journalisme », la pige peut laisser le jeune rédacteur « désarmé face à une baisse de son volume habituel » de commandes. Certes, le législateur n’a pas entièrement abandonné les pigistes à leur sort, et a même prévu des sanctions pour les entreprises qui cesseraient brutalement de fournir du travail à un collaborateur régulier. Dans ce cas, l’interruption de la relation de travail se traduira par un licenciement qui ouvrira droit à des indemnités, rappelle Le Parisien. Mais les intéressés n’en sont pas entièrement rassurés, comme l’a démontré en septembre la mobilisation des pigistes de RFI. « On ne s’est pas défendu pendant longtemps parce qu’on a peur. Peur de ne plus avoir de pige, peur de plus avoir de boulot. L’énorme majorité ne se plaint pas », expliquaient les grévistes.

Pour Audiens, une « réponse adaptée et sécurisante »

Alors, que faire ? En septembre 2015, les organisations patronales et salariales s’étaient mises d’accord sur une réforme du régime de prévoyance des journalistes rémunérés à la pige. Objectif : réorganiser la protection sociale des pigistes en améliorant les garanties prévoyance existantes et en l’enrichissant d’une « couverture frais de soins de santé ». Le législateur a en outre obligé les employeurs de presse à proposer à tous leurs salariés une complémentaire santé. Un fonds collectif dédié a été créé dès janvier 2016 afin de mettre en œuvre ce nouveau régime. Géré par Audiens, groupe de protection sociale dédié au monde de la culture et des médias, ce fonds est alimenté par les cotisations des employeurs. Il finance le régime conventionnel, désormais ouvert à tout journaliste ayant effectué au moins une pige au cours des 24 derniers mois. « Audiens salue la réponse adaptée et sécurisante des partenaires sociaux, à la fois pour les salariés multi-employeurs et pour les employeurs, dans le cadre de la généralisation de la complémentaire santé », avait déclaré Patrick Bézier, directeur général du groupe de protection sociale, lors de la création du fonds. Pour Audiens, il s’agit notamment d’« organiser une solidarité professionnelle » et de « donner une réponse adaptée à la réalité d’un secteur où les journalistes rémunérés à la pige sont souvent multi-employeurs avec une activité discontinue ». Une protection pas du tout négligeable à l’heure où les démocraties en Europe et dans le monde ont elles-mêmes besoin d’être de plus en plus protégées.

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