Michel Savin : « notre droit ne permet pas de lutter contre le piratage »

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Alors que le piratage d’évènements sportifs menace plus que jamais l’équilibre financier du sport amateur et professionnel français, le sénateur Michel Savin, auteur d’une proposition de loi spécifique contre le piratage, revient dans les colonnes de Juriguide sur la nécessité de se donner les moyens de lutter plus efficacement contre cette pratique.

Pourquoi avoir déposé une proposition de loi spécifique contre le piratage, la loi audiovisuelle actuellement en discussion ne va selon-vous pas assez loin ?

Lors de l’examen du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique en commission à l’Assemblée Nationale, les députés ont adopté un article 23 qui met en œuvre un dispositif innovant et contraignant de lutte contre le piratage du sport. L’ensemble des acteurs a salué ce dispositif et souhaite une mise en œuvre effective dans les plus brefs délais.

Je suis moi-même satisfait du dispositif adopté. Je travaille sur ce sujet depuis plusieurs années : j’avais d’ailleurs fait adopter au Sénat un article 24 à la loi visant à préserver l’éthique du sport, à renforcer la régulation et la transparence du sport professionnel et améliorer la compétitivité des clubs du 1er mars 2017, encourageant les acteurs du sport et du numérique à négocier la conclusion d’accords de bonnes pratiques de lutte contre le piratage.

La crise sanitaire du covid-19 a malheureusement stoppé l’examen du projet de loi Audiovisuel, et aucune inscription à l’ordre du jour du Parlement n’est à ce jour prévue. C’est pourquoi cette proposition de loi vise à inscrire dans notre droit ces mesures adoptées par les députés en commission.

Pourriez-vous nous en dire plus sur les propositions phares de la loi que vous portez ?

Cette proposition de loi comporte un article unique. Celui-ci crée une nouvelle section au code du sport intitulée « Lutte contre la retransmission illicite des manifestations et compétitions sportives » et inscrit le dispositif novateur attendu dans la loi.

Ce dispositif de lutte contre la retransmission illicite des manifestations et compétitions sportives permet aux requérants légitimes, dont font notamment partie les ayants droit, de saisir le président du tribunal judiciaire aux fins d’obtenir toutes mesures proportionnées propres à prévenir ou à faire cesser des atteintes graves et répétées aux droits patrimoniaux attachés aux retransmissions sportives.

Cette saisine peut permettre au président du tribunal judiciaire d’ordonner la mise en œuvre de toutes mesures permettant de mettre fin à l’accès, depuis le territoire français, à des contenus piratés pour une durée de douze mois, telles que le blocage, le retrait ou le déréférencement des services de communication en ligne dont l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux serait la diffusion sans autorisation de compétitions ou manifestations sportives.

En complément, l’autorité de régulation en charge de la diffusion des œuvres et de la protection des droits sur internet, aujourd’hui l’HADOPI, dont les missions seront transférées à la future Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), est chargée d’adopter des modèles destinés à prévenir le piratage des contenus sportifs en amont de la saisine du juge. Les pouvoirs d’enquête et d’instruction confiés aux agents habilités et assermentés de cette autorité de régulation (HADOPI et future ARCOM) pour mener à bien les actions de prévention et de lutte contre le piratage sportif sont également précisés, en vue de faciliter l’exécution de la décision judiciaire ou de constater les faits susceptibles de porter atteinte aux droits protégés.

Il appartiendra au Parlement de l’enrichir si nécessaire.

En quoi une absence de mesures contre le piratage pourrait être préjudiciable sportivement et économiquement ?

Depuis plusieurs années, le piratage de la retransmission des compétitions sportives diffusées en direct a pris une ampleur considérable, notamment sous l’effet du streaming illégal. Le live streaming pirate est utilisé en moyenne par plus d’un million d’internautes en France chaque mois, essentiellement pour le visionnage du sport. On estime ainsi l’impact économique du piratage des diffusions des compétitions sportives à près de 500 millions d’euros pour les ayants droit (fédérations, ligues) ainsi que pour les diffuseurs, avec des pertes de plusieurs centaines de milliers d’abonnés.

Outre l’aspect économique direct de ce piratage, c’est le financement même du sport en France qui pourrait être à terme menacé : le modèle de financement du sport français est en effet basé sur une solidarité financière forte entre le sport professionnel et le sport amateur, notamment avec la Taxe Buffet. Alors que le potentiel économique des compétitions sportives se développe, que la valorisation économique du sport est en plein essor et que la valeur des droits sportifs en France dépassera les 1,5 milliard d’euros dès la saison sportive 2020-2021, le piratage pourrait venir menacer cet équilibre encore non stabilisé.

Une adoption rapide de ce dispositif serait un signal envoyé aux acteurs du sport et de l’audiovisuel, qui connaissent de très grosses difficultés en cette période particulière.

Les mesures que vous proposez vous semblent être la réponse la plus adéquate ? Pour quelles raisons ?

Notre droit ne permet pas de lutter efficacement contre le piratage des retransmissions des compétitions sportives. La spécificité du piratage sportif est que, à la différence des œuvres audiovisuelles telles que le cinéma ou les séries, la valeur économique d’une rencontre sportive s’épuise dès lors que celle-ci se termine. C’est la raison pour laquelle il est primordial que les mesures de lutte contre le piratage soient adaptées à ce type diffusion, afin que des mesures de protection puissent être prises très rapidement.

La mesure que je propose est largement inspirée des modèles anglais et portugais, qui ont fait leurs preuves. C’est dans ce sens que nous devons aller.

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