Souveraineté : la Côte d’Ivoire réaffirme son droit à disposer d’elle-même

Hiérarchie des normes

En France, la supériorité de la Constitution sur les traités internationaux est souvent mise en avant dans le cadre de notre souveraineté. A l’occasion d’une querelle avec la CADHP, la Côte d’Ivoire d’Alassane Ouattara réaffirme également la primauté de sa Constitution sur des engagements internationaux qu’elle juge trop intrusifs. 

En Côte d’ivoire, il existe depuis quelques jours une querelle entre la constitution ivoirienne et la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP). Cette dernière a rendu deux décisions ordonnant à l’Etat de Côte d’Ivoire de réintégrer Laurent Gbagbo et Guillaume Soro sur la liste électorale de l’élection présidentielle du 31 octobre.

Pour l’État de Côte d’Ivoire, ces deux personnalités politiques ont perdu leur droit civique après des condamnations par la justice ivoirienne et ne peuvent légalement se représenter au scrutin présidentiel. Le premier a été condamné à vingt ans de prison, dans l’affaire du « braquage de la BCEAO » lors de la crise post-électorale ivoirienne de 2010-2011. Le second a été condamné à vingt ans de prison pour « recel de détournement de deniers publics ».

Hiérarchie entre la constitution et les traités internationaux

C’est un dilemme que les juristes connaissent bien et qui oppose droit constitutionnel et droit international : les décisions de la CADHP sont les résultantes de l’application du droit international africain alors que la décision du conseil constitutionnel ivoirien relève de la constitution ivoirienne. Lequel des deux prime l’autre ? Deux positions s’affrontent parmi les professionnels du droit.

Pour ceux que nous appelons les juristes internistes, la Constitution étant la Loi fondamentale, elle est placée au sommet de la hiérarchie des normes en droit interne. En conséquence, dans l’ordre interne, la constitution prime le traité. En revanche, pour les juristes internationalistes, le traité international prévaut sur la Constitution car l’État, en ratifiant un traité international, a délégué une partie de sa souveraineté.

Cette dernière position internationaliste est souvent défendue par les organisations internationales (Cour européenne des droits de l’homme, CADHP), ou les ONG de défense de droits humains, au nom de principes supérieurs. Mais pour les États, qui entendent bien défendre leur souveraineté, c’est plutôt la vision interniste qui prime. La France n’est pas en reste concernant la défense acharnée de sa propre Constitution.

Primauté de la Constitution française réaffirmée par les plus hautes juridictions

En France, la jurisprudence a affirmé à plusieurs reprises la primauté de la Constitution sur les traités internationaux. En la matière, il existe une abondante jurisprudence française qui refuse d’écarter la Constitution au bénéfice des traités internationaux. Ce refus a été réaffirmé par trois institutions juridiques de premier plan : le Conseil Constitutionnel Français (CC), le conseil d’Etat français (CE) et la Cour de Cassation française.

Le Conseil Constitutionnel français a fait prévaloir la constitution sur le traité lorsque le droit d’asile international a été écarté au bénéfice du droit d’asile constitutionnel (décision N° 93-325 DC du 13 août 1993). Et pour la transposition des directives de l’Union européenne (décision N° 2004-496 DC du 1er juillet 2004 visant l’article 88-1 de la constitution), le CC français dit que la transposition en droit interne d’une directive communautaire résulte d’une exigence constitutionnelle à laquelle il ne pourrait être fait obstacle qu’en raison d’une disposition expresse contraire à la constitution.

La primauté de la constitution sur les traités a également été confirmée par le Conseil d’État, pour lequel un principe fondamental, reconnu par les lois de la République, prime un traité d’extradition ratifié (CE, ass, 8 juillet 1996, req n°169219, Koné). Le CE a également reconnu la primauté de la Constitution dans la hiérarchie des normes à l’occasion de l’arrêt Sarran, lié à l’évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie, qui constitue aujourd’hui « l’un des arrêts les plus importants de l’histoire de la Vème République en matière de hiérarchie des normes » comme le rappelle le Pr Alland (CE, Ass., 1998 req n°200286, Sarran). Enfin, cette primauté a été réaffirmée par la Cour de cassation avec l’arrêt Fraisse en 2000 ( Cass. Plén.,2 juin 2000, n°99-60274) qui réaffirme la primauté de la Constitution sur les engagements internationaux.

Insécurité juridique

Il en va de même pour le dilemme entre le droit constitutionnel et le droit européen. Dans la mesure où c’est la souveraineté nationale qui a autorisé la primauté du droit communautaire, on peut considérer que la constitution reste au sommet de la pyramide juridique. Dans son arrêt syndicat national de l’industrie pharmaceutique du 2 décembre 2001, le conseil d’État rappelle que le principe de la primauté du droit communautaire ne saurait conduire dans l’ordre interne à remettre en cause la suprématie de la Constitution.

Ainsi, en refusant d’appliquer les dernières décisions de la Cour africaine des peuples, la Côte d’Ivoire n’invente rien et défend, en fait, sa souveraineté, à la façon de la France. La position de refus d’exécuter l’arrêt de la Cour africaine annoncée par le président de la République Alassane Ouattara à Bouaflé trouve son fondement dans le retrait de la Côte d’ivoire du protocole de cette cour.

Avec ce retrait de compétence, l’État ivoirien ne permet plus à la cour de « recevoir des requêtes d’individus et d’organisations non gouvernementales », mais reste « respectueux des instruments juridiques internationaux auxquels il a souscrit ». Selon ce dernier, l’ordre donné par la CADHP de suspendre le mandat d’arrêt contre l’ancien seigneur de guerre Guillaume Soro, « porte atteinte à la souveraineté de l’État, à l’autorité et au fonctionnement de la justice [et] sape les bases de l’État de droit par l’instauration d’une véritable insécurité juridique ».

 

 

 

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