Détention provisoire : les limites d’une mesure « garde-fou »

Adoptée en première lecture mercredi 27 janvier par le Sénat, la réforme de la justice voulue par Eric Dupond-Moretti prévoit une diminution drastique du recours à la détention provisoire, qui concerne actuellement 80 % des mineurs incarcérés. Un peu partout dans le monde, des voix se font entendre pour protester contre cette mesure qui consiste à emprisonner des justiciables pourtant innocents aux yeux de la loi, puisque toujours dans l’attente de leur procès. Aux Etats-Unis, le cas Ghislaine Maxwell témoigne des dérives possibles de la détention provisoire : l’ex-collaboratrice de Jeffrey Epstein serait, selon son frère, littéralement « torturée » dans sa cellule, alors que rien ne semble s’opposer à sa libération sous caution en attendant que s’ouvre son procès.

Ghislaine Maxwell, symbole des dérives de la détention provisoire

Dans Surveiller et Punir, Michel Foucault se propose d’étudier les conditions ayant permis l’émergence historique de la prison comme moyen universel de punition et de redressement. Le philosophe se demande pourquoi l’enfermement nous apparait comme la solution évidente lorsqu’il s’agit d’empêcher de nuire un individu, alors que l’épaisseur historique dont jouit la prison, au moins sous sa forme actuelle, est une illusion ? La question des alternatives à la prison se pose avant d’autant plus de forces concernant la détention provisoire, puisque la prison s’impose ici à des personnes dont le procès n’a pas encore eu lieu.

Présumés innocents, ces prévenus n’en sont pas moins plongés dans les mêmes conditions carcérales que l’ordinaire des détenus. Ces conditions peuvent être particulièrement inhumaines, comme en témoigne le cas Ghislaine Maxwell. Fille du magnat de la presse britannique Robert Maxwell, Ghislaine Maxwell est inculpée de « trafic de mineures » au profit du milliardaire Jeffrey Epstein, retrouvé pendu dans sa cellule de la prison de Manhattan le 10 août 2019 avant d’avoir pu révéler ses secrets. Elle est incarcérée au Metropolitan Detention Center à New York, dans l’attente de son procès prévu en juillet 2021.

La jet-setteuse a-t-elle réellement joué un rôle prépondérant dans l’organisation d’un vaste réseau d’exploitation d’adolescentes pour le compte de son richissime ami ? Pas selon son frère, qui pointe dans Paris Match l’absence de preuves avérées et de faits tangibles, dénonce une cabale médiatique et déplore que « la justice américaine a (…) besoin d’une personne qui paie pour les crimes d’Epstein ». Surtout, Ian Maxwell ne s’explique pas pourquoi sa sœur est maintenue en détention, alors qu’elle vient de déposer une troisième demande de libération sous caution, ayant réussi à récolter 28,5 millions de dollars. Les juges redoutent-ils qu’elle profite de sa sortie de prison pour se volatiliser ? Pour les rassurer, Ghislaine Maxwell a pourtant proposé de renoncer à ses nationalités française et britannique et de ne conserver que son passeport américain, afin de ne pouvoir quitter le territoire.

Mais si le cas Ghislaine Maxwell est emblématique des abus rendus possibles par la détention provisoire, c’est avant tout par la cruauté du traitement qui, selon son frère, lui serait infligé : « Ghislaine est torturée, je pèse mes mots. Ses conditions de détention sont indignes. La nuit, une lampe éclaire sa cellule toutes les quinze minutes, elle n’a pas dormi correctement depuis dix mois. Elle ne boit que l’eau marron foncé du robinet, sa nourriture est à peine comestible. Ses gardiens ont interdiction de lui adresser la parole, ils lui assignent des tâches dégradantes, la forçant à brosser le sol, ou lui enfoncent leurs doigts dans la bouche. Elle a perdu 10 kilos, ses cheveux tombent, sa vision a beaucoup chuté. Son état physique est terrifiant. Ses geôliers la retiennent dans un donjon pour la briser. »

Conditions de détention indignes

Si Ghislaine Maxwell souffre de la solitude, ne possédant même pas d’accès à Internet pour préparer sa défense, il n’en va pas de même pour les 20 000 personnes placées en détention provisoire sur le sol français, endurant au contraire un excès de promiscuité. Devant le Conseil de l’Europe, le 31 octobre 2017, Emmanuel Macron, dans un éclair de lucidité, affirmait que « la France ne peut pas être fière des conditions dans lesquelles un certain nombre de personnes sont détenues sur son territoire, du fait d’une surpopulation chronique, avec un taux d’occupation qui, en moyenne, s’élève à 139 % ». La situation ne s’est pas arrangée avec le temps. Au 1er décembre 2020, la densité carcérale atteignait 183,9% à la maison d’arrêt de Béthune, 178% à celle de Bordeaux-Gradignan et 161,6% à Villepinte. Dans 72 établissements sur 188, le taux d’occupation était supérieur à 120%. A la même date, 654 prisonniers dormaient sur des matelas posés au sol.

Indignes, ces conditions d’incarcération le sont tout particulièrement à l’encontre des personnes placées en détention provisoire, dont il n’est pas certain qu’elles seront condamnées à une peine de prison ferme. En France, ces personnes sont environ 20 000, soit un tiers de la population carcérale. De quoi motiver des arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation qui, le 8 juillet 2020, a pour la première fois admis que la détention provisoire devait cesser lorsque les conditions de détention étaient contraires à la dignité humaine.

Le recours à cette mesure est d’autant moins justifié que des alternatives existent. Le contrôle judiciaire, par exemple, qui implique le respect de diverses obligations ou interdictions fixées par le juge, comme des limitations de la liberté d’aller et venir (interdiction de sortir de certaines limites territoriales, de s’absenter de son domicile, de se rendre dans certains lieux déterminés, obligation de remettre son passeport, etc.); des mesures de surveillance (obligation de se rendre de façon périodique au commissariat, interdiction d’entrer en contact avec certaines personnes, etc.) ou encore des interdictions diverses (interdiction de conduire un véhicule, de détenir une arme, d’exercer certaines activités professionnelles ou sociales, etc.). Pensons également à l’assignation à résidence avec surveillance électronique (ARSE), qui suppose de rester à domicile et de porter à la cheville un bracelet électronique.

S’il n’est pas question d’affirmer que, contrairement aux détenus provisoires, les personnes condamnées méritent les conditions dégradantes dans lesquelles elles sont incarcérées, les premiers devraient pourtant pouvoir bénéficier d’alternatives à la prison le plus souvent possible, dans la mesure où ils demeureront peut-être innocents aux yeux de la justice, une fois leur procès passé.

RÉPONDRE

Veuillez entrer votre commentaire !
Veuillez entrer votre nom

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.