Évasion fiscale : les zones grises de la liste noire de l’Union européenne

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En révélant l’existence d’un vaste système d’évasion fiscale, estimé à 7 500 milliards d’euros détenus dans des paradis fiscaux, le Consortium international des journalistes d’investigation (CIJI) a exposé au monde la faiblesse des mécanismes internationaux de lutte contre l’évasion fiscale. Avec 1 500 milliards d’euros sortis de ses radars, l’Union européenne est particulièrement touchée. Pour certaines ONG, la liste noire de l’Union européenne contre l’évasion fiscale démontre, encore une fois, son manque de pertinence.

1 500 milliards échappent aux radars de l’Union européenne  

Ce chiffre faramineux témoigne de l’échec de l’Union européenne dans sa lutte contre l’évasion fiscale. Pourtant, depuis une décennie, les mesures d’apparence volontaristes se sont multipliées. Dès 2013, une directive majeure a été adoptée, actant la fin du secret bancaire pour l’ensemble des pays membres de la zone euro. Une directive renforcée par la systématisation des échanges d’informations avec une centaine de pays situés hors du territoire européen. Depuis 2018, la législation a été durcie aussi au niveau des entreprises, avec la mise en œuvre d’une directive exigeant la création de registres publics affichant le nom des propriétaires réels des sociétés dans chaque État-membre. Nouvelle étape en juin 2021, avec l’annonce d’un accord destiné à contraindre les multinationales à effectuer un reporting public, pays par pays, afin d’en améliorer la transparence fiscale.

Le fer-de-lance de la politique de lutte contre l’évasion fiscale en Europe demeure cependant la « liste noire des paradis fiscaux », dont la première version a été rendue publique en décembre 2017. Un name and shame des mauvais élèves, auquel s’ajoute une liste grise des juridictions fiscales non-coopératives. Car il permet la prise de sanctions, notamment le gel des fonds européens pour certains des pays blacklistés, la liste noire est un des outils les plus précieux de l’Union européenne. Elle fait pourtant l’objet de nombreuses critiques venues notamment des ONG. D’abord pour les mesures trop peu coercitives prises contre les États en faisant partie. Ensuite pour le nombre très limité de juridictions qui la composent.

Une liste noire en demi-teinte selon les ONG et la gauche européenne   

La liste noire de l’Union européenne compte aujourd’hui neuf juridictions, très majoritairement des juridictions autonomes américaines (Guam, îles vierges américaines, Samoa américaines) ou britanniques (Barbade) ou encore des micro-États îliens, situées dans l’Océan Pacifique, les Caraïbes ou l’océan Indien. Et évidemment, Panama, éternelle tête de liste des États-voyous en matière d’évasion fiscale. Une liste pleine de trous, selon l’ONG Oxfam, spécialisée dans la lutte contre la criminalité financière, qui en avait très tôt souligné les manquements.

En novembre 2017, l’ONG estimait qu’une liste noire des paradis fiscaux efficace devrait au moins inclure 35 pays. Et, parmi eux, des États membres de l’Union européenne, dont l’Irlande, le Luxembourg, les Pays-Bas et Malte, qui n’appliquent pas les critères de l’Union européenne. La liste, jugée éminemment politique, cherche en effet à préserver certains pays, avec qui l’Union européenne maintient des relations diplomatiques stratégiques.

Les Caïmans en ligne de mire

Récemment, le cas des îles Caïmans, retirées de la liste noire de l’Union européenne le 6 octobre 2020, a largement irrité certains observateurs. Le Conseil de l’Union européenne avait, à l’époque, estimé que les îles Caïmans avaient « adopté les réformes nécessaires pour améliorer leur réglementation fiscale ». Du côté de l’ONG Oxfam, on s’était déclaré outré de « la suppression d’un des paradis fiscaux les plus notoires du monde ». Tandis que le groupe socialiste au Parlement européen avait considéré que le retrait des Caïmans de la liste noire prouvait que « les critères européens pour blacklister les paradis fiscaux ne fonctionnent pas ». D’autant que quelques mois auparavant, en février 2020, un rapport du Tax Justice Network, avait présenté les îles Caïmans comme « plus gros centre de secret financier au monde ». Le petit territoire des Caraïbes rassemble, à lui seul, 100 000 sociétés enregistrées, très majoritairement des sociétés-écrans, pour 65 000 habitants.

Le secret des affaires, très en vigueur sur l’île, a d’ailleurs longtemps préservé certaines institutions douteuses d’un tourbillon judiciaire. Port Fund, dirigé un temps par Mark Williams, qui a fait l’objet de plusieurs accusations de corruption, a été de celles-là avant d’être, aujourd’hui, en pleine tourmente. En 2020, le Gulf Investment Corporation a déposé plusieurs plaintes contre KGL Investment, le fonds d’investissement gérant Port Fund, après la découverte de centaines de millions de dollars détournés vers les Philippines. Une affaire d’autant plus complexe que la réputation de Port Fund et de KGL a été durablement fragilisée par plusieurs de ses anciens dirigeants, dont Marsha Lazareva et Saeed Dashti, tous deux condamnés à des peines de plusieurs années de prisons fermes au Koweït. Grâce à un lobbying actif et téléguidé par certaines personnalités américaines, notamment Neil Bush, frère de l’ancien président américain Georges Bush, Port Fund est régulièrement passé entre les mailles du filet judiciaire, profitant de la juridiction avantageuse du Koweït. Récemment, un tribunal des Caïmans a pris une mesure sans précédent en décidant que les deux parties prenantes lésées du fonds portuaire, l’autorité portuaire du Koweït et l’institution publique de sécurité sociale, sont autorisées à engager une action en justice contre la direction du fonds portuaire.

Au-delà du cas emblématique des îles Caïmans, d’autres retraits crispent les ONG. Le retrait d’Anguilla, de La Dominique et des Seychelles, à peine deux jours après les révélations des Pandora Papers aurait, selon Oxfam, « fait de la liste noire de l’UE une plaisanterie ».

 

 

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