Nicolas Sarkozy, les Bettencourt, et les enveloppes de billets

Eugène Schueller, le fondateur de L’Oréal, puis sa fille Liliane et son gendre, André Bettencourt, ont toujours arrosé la classe politique. Mais cela ne suffit pas pour prouver que Nicolas Sarkozy a perçu de l’argent. 

« Dédé arrosez large », avait-on l’habitude de répéter dans la classe politique française. Dédé, c’était André Bettencourt, le mari de Liliane, la femme la plus riche de France – sinon du monde – principale actionnaire de L’Oréal. Large, cela voulait dire à la fois qu’il remettait des enveloppes bourrées de billets de banque à tous ses visiteurs. Et qu’il distribuait aux dirigeants politiques sans se préoccuper de leurs étiquettes. Longtemps républicain indépendant, André Bettencourt, disparu en 2007, entretenait les meilleures relations avec le gaulliste Georges Pompidou, le centriste Jean Lecanuet, le socialiste François Mitterrand. 

Pourquoi tant de générosité ? André Bettencourt ne faisait que suivre les conseils de son beau-père, Eugène Schueller, le fondateur de L’Oréal en 1909. La réussite dépend de la force de l’innovation d’une entreprise, de sa qualité managériale, de son génie du marketing, mais aussi des étroites relations avec les pouvoirs publics. Claire Thibout, l’ancienne comptable des Bettencourt, a révélé qu’en quinze ans la principale actionnaire du numéro un mondial des cosmétiques n’avait jamais fait l’objet du moindre contrôle fiscal. Les biens immobiliers de Liliane Bettencourt étaient presque systématiquement sous-évalués. Les enveloppes de billets distribués par « Dédé » n’étaient finalement que des peccadilles comparées aux économies réalisées par la multinationale de la beauté. 

400 000 euros venus de Suisse

Que les juges Jean-Michel Gentil, Cécile Ramonatxo et Valérie Noël, en charge de l’affaire Bettencourt, estiment que Nicolas Sarkozy est l’un des principaux bénéficiaires de la générosité des Bettencourt, rien de plus normal. Nicolas Sarkozy a été maire de Neuilly, député de la circonscription de Neuilly-Puteaux, président du Conseil général des Hauts-de-Seine. De plus, il est le patron de l’UMP, le parti d’André Bettencourt. Les enquêtes menées par l’auteur de l’article attestent du goût immodéré de Nicolas Sarkozy pour l’argent. Il n’est donc pas déraisonnable d’imaginer qu’en pleine campagne pour les élections présidentielles de 2007, les actionnaires de L’Oréal se soient montrés très généreux avec un candidat qu’ils chouchoutent depuis son élection à la mairie de Neuilly en 1983.

De plus, les magistrats découvrent que le 5 février 2007, Liliane Bettencourt a reçu 400 000 euros en liquide, provenant d’un de ses comptes en Suisse. Le 7 février à 8 h 30, Eric Woerth, le trésorier de la campagne de Nicolas Sarkozy, rencontre Patrice de Maistre, le gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt. Le même jour, à 19 h 30, Eric Worth a rendez-vous avec Nicolas Sarkozy. Le 10 février, le candidat à l’élection présidentielle aurait sonné à la porte des Bettencourt à Neuilly. Ces coïncidences suffisent pour mettre en examen Nicolas Sarkozy le 21 mars 2013 pour  « abus de faiblesse ». Seulement voilà, il n’y a pas photo, ou du moins la moindre preuve que celui-ci ait reçu de l’argent. C’est ce que dit, dans un réquisitoire de 180 pages, Claude Laplaud, le procureur de Bordeaux. Évoquant les 400 000 euros, il écrit : « démonstration n’est pas pour autant faite que cet argent ait été remis à Nicolas Sarkozy ». En conséquences, le parquet dédouane l’ancien président de la République, même s’il a « menti sur le nombre de ses visites, au début 2007, au domicile Bettencourt ».  

« Abus de faiblesse »

Les moralistes crieront sans doute au scandale. En effet, il serait fort étonnant que les Bettencourt n’aient pas versé une généreuse obole à leur candidat. Mais comment en apporter la preuve ? Nicolas Sarkozy n’a pas été photographié en train de recompter les billets devant l’hôtel particulier des Bettencourt. De plus, comment prouver que c’était Liliane Bettencourt – qui n’avait plus sa tête – qui lui aurait remis l’argent, d’où l’abus de faiblesse, et non pas son mari ? Enfin, réfléchissons un peu : pourquoi un politicien aussi affûté que Nicolas Sarkozy prendrait-il le risque d’empocher lui-même la monnaie ? Il y a dans chaque parti des hommes de l’ombre chargés de cette besogne, sans que les leaders ne se salissent les mains. À moins d’aveux bien improbables, l’ancien locataire de l’Elysée ne sera pas inquiété. Moralité ? Aucune.