Congo : Denis Sassou Nguesso peut-il changer la Constitution ?

Faut-il ou non changer la Constitution en vigueur aujourd’hui au Congo ? Cette question, posée de nombreuses fois par différents représentants politiques congolais ces dernières années, est aujourd’hui au cœur de l’actualité. Depuis plusieurs semaines, le Président de la République du pays, Denis Sassou Nguesso, organise des consultations pour évaluer la possibilité de changer la Constitution votée en 2002 et ainsi passer d’un régime présidentiel à un régime semi-parlementaire.

Problème pour l’opposition : ce changement permettrait à Denis Sassou Nguesso de se présenter une troisième fois à la présidence du Congo l’année prochaine, chose qui lui est aujourd’hui interdite par l’actuelle Constitution. En parallèle, un changement pourrait permettre au pays de passer d’un régime présidentiel à un régime semi-parlementaire plus démocratique.

Le 20 mai dernier, le Président de la République congolais, Denis Sassou Nguesso, lançait une série de consultations à Brazzaville. Le but : étudier avec différents hommes politiques du pays, appartenant à la majorité comme à l’opposition, la possibilité de changer la Constitution du pays datant de 2002. Ce dialogue institutionnel, s’il en a séduit certains, a été boycotté par plusieurs personnalités politiques congolaises, selon lesquelles Denis Sassou Nguesso ne souhaiterait changer la Constitution que dans le but d’effectuer un troisième mandat à la tête du pays.

L’année prochaine sera en effet le théâtre d’une nouvelle élection présidentielle au Congo, à laquelle l’actuel Président de la République ne peut pas se présenter. Ceci pour deux raisons : alors que Denis Sassou Nguesso sera bientôt âgé de 72 ans et qu’il effectue aujourd’hui son deuxième mandat consécutif à la tête du pays, la Constitution actuelle interdit non seulement aux chefs d’états congolais d’effectuer plus de deux mandats d’affilée, mais elle limite également l’âge pour candidater à une élection présidentielle à 70 ans.

A l’inverse de l’opposition, qui dénonce une « mascarade » ne bénéficiant qu’à Denis Sassou Nguesso et à ses partisans, ces derniers prônent le « dialogue » et arguent que la Constitution actuelle ne correspond plus du tout aux besoins de la société congolaise aujourd’hui. Qu’en est-il vraiment ?

D’un régime ultra présidentiel à un régime semi-parlementaire

La Constitution actuellement en vigueur au Congo a été votée par référendum en janvier 2002. Après une décennie de conflits politiques néfastes pour le pays, elle instaure un régime présidentiel dans lequel il n’est prévu ni Premier ministre, comme en France, ni Vice-président, comme aux États-Unis. Elle établit deux pôles distincts : le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Le Président de la République représente l’exécutif. Il est élu pour 7 ans au suffrage universel direct et est limité à deux mandats.

Les ministres du Gouvernement sont nommés directement par le Président de la République qui leur fixe, par décret, leurs attributions. En parallèle, le pouvoir législatif est exercé par le Parlement, composé de deux chambres : l’Assemblée nationale et le Sénat. Les députés, élus au suffrage universel direct pour une durée de 5 ans, contrôlent le Gouvernement sur l’exécution du programme du Président de la République, mais n’ont aucun pouvoir de sanction.

Cette Constitution a été écrite sur le modèle de l’Acte fondamental du 24 octobre 1997. Un texte de loi qui, selon la définition même d’un «Acte fondamental », fait suite à une situation politique exceptionnelle en cours au Congo dans les années 1990 : la victoire militaire par le camp des Forces Démocratiques Patriotiques sur le Gouvernement de Pascal Lissouba après une année de guerre civile dévastatrice pour le pays. Un point sur lequel les partisans du changement de Constitution s’appuient aujourd’hui, arguant que la Constitution de 2002 est désormais dépassée alors que le pays s’est apaisé.

Après une Constitution de transition, il serait temps de passer à une Constitution de long terme, plus démocratique et instaurant un régime semi-parlementaire plus en adéquation avec les évolutions du pays. Une Constitution sur le modèle de celle votée le 15 mars 1992. Elle inaugurait à l’époque la démocratie multipartite et a mis en place un régime basé sur trois organes dirigeants : le Président de la République (chef de l’État), le Premier ministre (chef du Gouvernement) et le Parlement bicaméral.

Il était alors possible pour le Président de la République, en cas de crise persistante entre le pouvoir exécutif et le Parlement de dissoudre l’Assemblée nationale, comme il était possible pour le Parlement de censurer les ministres en cas de désaccord profond. A l’époque, alors que le régime était encore instable, cette Constitution a donné lieu à un nombre interminable de conflits entre exécutif et législatif. Aujourd’hui, elle pourrait être plus appropriée.

Un changement de la Constitution : le serpent de mer congolais

C’est en tout cas ce qu’ont pensé et déclaré plusieurs hommes politiques congolais depuis 2002. La question d’un retour à la Constitution de 1992, sous un format réadapté, agite en effet la sphère politique congolaise et bon nombre d’intellectuels, mais aussi d’hommes politiques de la majorité comme de l’opposition se sont prononcés en faveur ces dernières années.

En 2011, le magistrat Germain Vincent La N’Zoala prônait déjà dans le journal Semaine Africaine un retour à la Constitution du 15 mars 1992, déclarant que « la Constitution en vigueur au Congo (…) n’avait qu’un but qui, actuellement, est largement atteint, à savoir : le rétablissement de la paix pour permettre la reconstruction d’un pays dévasté par les guerres civiles ». La même année, Jean-Claude Ibovi, député de la majorité, proposait officiellement le retour à la Constitution précédente, mettant en exergue le problème actuel de la responsabilité de l’exécutif.

Moins récemment, et parmi les représentants de l’opposition s’étant prononcée en faveur d’un changement de Constitution, on compte notamment Bonaventure Mizidy, qui promettait lors de l’élection présidentielle de 2009 à laquelle il était candidat une réunion avec le Parlement s’il était élu afin de « constater qu’il est possible de revenir à la Constitution de mars 1992 ». Lui aussi candidat, Mathias Dzon déclarait vouloir « remettre ce qui  peut apporter à ce pays la vraie démocratie », « rendre la liberté aux Congolais » en « cassant la Constitution actuelle qui n’est pas une Constitution pour une démocratie ». Ce dernier s’oppose pourtant fermement aujourd’hui au changement de Constitution proposé par Denis Sassou Nguesso.

Une Constitution est-elle vouée à l’évolution ?

Si le débat fait tant rage désormais, c’est en partie parce que le Congo a déjà traversé nombre de crises politiques, qui se sont pour la plupart finies sur un changement de la Constitution, parfois pour le meilleur, d’autres fois pour le pire. Alors que la Constitution de 1992, réclamée actuellement par plusieurs têtes pensantes et hommes politiques congolais, a elle-même eut des conséquences désastreuses dans les années 1990, celle de 2002 pourrait avoir de lourdes conséquences sur le pays aujourd’hui. En effet, si une situation de cohabitation survient, le système se retrouve bloqué jusqu’à la prochaine élection législative ou présidentielle, l’exécutif n’ayant aucun pouvoir sur le législatif et vice-versa. Or, dans un pays en pleine évolution démocratique, les situations de cohabitation ne sont pas si rares.

Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est qu’une Constitution ne se suffit pas en elle-même, pour être efficace, elle est largement dépendante de la situation politique et sociale du pays dans laquelle elle est en vigueur. Dans les années 1990, le pays souffrait d’une absence de continuité démocratique. Un régime semi-parlementaire n’était pas adapté, à l’inverse du régime présidentiel instauré en 2002, qui répondait parfaitement aux enjeux sociaux congolais. Aujourd’hui, le pays s’est apaisé, les institutions se sont renforcées et un régime présidentiel peut provoquer un déficit de démocratie qui ferait reculer le pays.

Si a priori rien ne s’oppose à un changement de la Constitution congolaise, reste à savoir si les arguments de la majorité arriveront à convaincre l’opposition, ou si celle-ci campera sur sa position, trop peu encline à voir Denis Sassou Nguesso se présenter une troisième fois à une élection présidentielle. Sur le plan démocratique ou juridique, rien à craindre finalement. Si Denis Sassou Nguesso souhaite changer la Constitution, il ne le fera pas sans l’accord de la population et compte organiser un référendum. S’il se retrouve une troisième fois candidat, ce sera de plus une nouvelle fois au peuple de choisir. Les mois à venir se chargeront de trancher le débat.