Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé devant la CPI pour encore plusieurs années

Le procès de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé, tous deux poursuivis pour « crimes contre l’humanité » durant la crise post-électorale de 2010-2011 en Côte d’Ivoire, s’est ouvert en janvier dernier devant la Cour pénale internationale (CPI). Le procès pourrait durer plusieurs années, au détriment des victimes, qui attendent encore réparation cinq ans après les faits.

Gbagbo et Blé Goudé entendus à La Haye

En janvier dernier s’est ouvert à La Haye un procès attendu depuis longtemps, celui de l’ancien chef d’Etat ivoirien, Laurent Gbagbo, et de son ancien ministre de la Jeunesse, Charles Blé Goudé, tous deux poursuivis pour « crimes contre l’humanité » durant la crise politique qui a ébranlé la Côte d’Ivoire après les élections de novembre 2010. Le procès pourrait cependant durer plusieurs années.

138 témoins de l’accusation doivent être entendus à la barre, interrogés par le procureur dans un premier temps, puis contre-interrogés par les avocats de la défense. A quoi s’ajoute la présentation de quelque 10 000 pièces à convictions, parmi lesquelles des centaines d’heures de vidéo. Autre frein considérable : la barrière de la langue, et le long travail de traduction qu’elle implique. Tandis que le président de la chambre et le procureur s’expriment en anglais, ainsi que les représentants de Charles Blé Goudé, la défense des victimes et celle de Gbagbo sont assurées en français. Une vingtaine de témoins devraient par ailleurs être entendus en dioula.

« La justice est la même pour tous »

Critiquée pour incarner une justice à l’occidentale, la CPI n’est pourtant qu’une solution transitoire, a affirmé en février dernier l’actuel chef d’Etat ivoirien, Alassane Ouattara. Malgré le mandat d’arrêt international délivré par la CPI, Simone Gbagbo, épouse de l’ancien chef d’Etat, a été la première personne à être entendue par les tribunaux nationaux pour des faits commis lors de la crise post-électorale. Alassane Ouattara a ainsi expliqué sa décision de maintenir Simone Gbagbo dans le pays par le retour à la normale du pouvoir judiciaire ivoirien, le pays étant dorénavant « doté d’une justice opérationnelle », tandis qu’« à la sortie de la crise électorale, nous n’avions pas de justice, le pays était totalement en lambeaux ». Les poursuites contre Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé avaient été lancées dès 2011, alors que les heurts prenaient juste fin et que les juridictions ne paraissaient ni assez solides, ni assez indépendantes pour entendre ces affaires.

Mais certains y ont vu la marque d’une « justice des vainqueurs ». Ecartant l’insinuation selon laquelle les membres de son état-major qui auraient pu s’adonner à des comportements répréhensibles ne seraient pas jugés, Alassane Ouattara a tenu à rappeler que « la justice est la même pour tous ». Tous ceux qui doivent être poursuivis le seront « sans exception ». « Si certains chefs militaires ont failli, ils seront démis de leurs fonctions et arrêtés », a-t-il insisté. Selon les explications de l’ancien procureur de la CPI, Louis Moreno Ocampo, qui a ouvert l’enquête sur la situation en Côte d’Ivoire en 2011, une « approche séquentielle » des poursuites a également été adoptée au niveau international. La priorité a ainsi été mise sur les crimes présumés commis par le camp Gbagbo avant de se tourner vers ceux attribués au camp Ouattara, une méthode d’investigation qui pourrait expliquer pourquoi aucun partisan du clan Ouattara n’aurait encore été inquiété.

Loin des querelles politiques, Mohamed Suma, Chef de Mission en Côte d’Ivoire du Centre international pour la justice transitionnelle, fait remarquer de nombreux traumas persistent malgré le retour au calme. « Les conséquences du conflit sur leur vie quotidienne [celle des victimes] persistent. La manipulation des divisions ethniques et régionales a jusqu’à présent été exacerbée, plutôt qu’atténuée, par des efforts de poursuite, la CPI ayant jusque-là involontairement contribué à exacerber ces tensions. Il n’est pas encore trop tard pour que les autorités nationales puissent regarder au-delà des intérêts partisans. » La crise électorale n’est pas encore oubliée en Côte d’Ivoire.