Procès de Rifaat al-Assad : une affaire de famille ?

Ce mercredi 5 mai s’ouvrira devant la Cour d’Appel de Paris le procès en appel de Rifaat al-Assad, oncle du dictateur syrien Bachar al-Assad, réfugié en France depuis 1984. La justice reproche à l’ancien dignitaire du régime de Damas d’avoir détourné et blanchi des centaines de millions de dollars provenant des fonds publics syriens, ce que l’accusé nie. Ses partisans dénoncent des témoignages à charge cousus de fil blanc, et suspectent une instrumentalisation de la justice française par Damas contre cet oncle devenu encombrant.

Fortune d’origine syrienne ou… saoudienne ?

4 ans de prison ferme. C’est le verdict prononcé par le tribunal correctionnel de Paris le 17 juin dernier à l’encontre de Rifaat al-Assad. Les faits qui lui sont reprochés, « d’une exceptionnelle gravité », auraient « durablement troublé l’ordre public, eu égard au montant des sommes blanchies et à la durée pendant laquelle ils ont été commis, de 1996 à 2016 ». Son procès faisait suite à une plainte déposée par l’association de lutte contre les crimes économiques Sherpa en 2013. Au terme d’une enquête de sept ans menée par le Parquet national financier (PNF), les juges ont considéré qu’il existait suffisamment de preuves pour établir que l’ancien numéro deux du régime syrien s’était constitué un important patrimoine immobilier et financier en France, estimé à 90 millions d’euros, dont il n’était pas en mesure de justifier la provenance.

Une conclusion que ne partage pas Rifaat al-Assad, qui a décidé de faire appel. Ce dernier, qui n’a pas assisté à son procès en raison de sa santé fragile, affirme en effet avoir tiré l’essentiel de sa fortune de la famille royale saoudienne. Le roi Abdallah ben Abdelaziz Al Saoud, ami proche et parent par alliance, lui aurait assuré un important soutien financier et immobilier pendant des décennies, jusqu’à sa mort en 2015. Pour étayer ces affirmations, Rifaat al-Assad peut compter sur de nombreux témoignages : celui, par exemple, d’une des épouses du roi Abdallah, la princesse Hessa bint Trad bin Sattam Alshalan, ou encore celui du fils d’un ancien dirigeant des renseignements saoudiens.

Ancien patron de la DGSE, Alain Chouet affirme également que Rifaat al-Assad et certains membres de sa famille auraient reçu une « aide financière importante » du roi Abdallah. A combien se chiffre cette aide ? Si la défense fait valoir qu’il est impossible de le déterminer avec précision car les registres financiers, remontant à plus de 30 ans et précédant la législation française sur le blanchiment d’argent, n’existent plus, elle a présenté un chèque de 10 millions de dollars signé par Abdallah en 1984, ainsi que des preuves d’autres transferts bancaires pour un total de 40 millions de dollars entre 2008 et 2014.

Témoignages « invraisemblables »

Autant d’éléments qui n’auront pas réussi à convaincre le PNF, qui a préféré s’en remettre à des témoignages à la crédibilité pourtant discutable. Ainsi, au nombre des allégations citées par le parquet figurent les déclarations d’un ancien directeur de l’espionnage roumain ayant écrit dans un livre qu’Assad avait travaillé pour le dictateur Nicolae Ceausescu durant les années 1970. Ou encore les affirmations d’un Syrien vivant en Europe et l’accusant d’avoir dérobé un trésor antique découvert par son grand-père dans une grotte en 1975. Aussi invraisemblable que cela puisse paraitre, les enquêteurs du PNF auraient glané l’information concernant Ceausescu sur Google, tandis que le témoin à l’origine de l’anecdote de la grotte ne se serait pas présenté au procès.

Autre témoin à charge, Moustapha Tlass, ministre de la Défense syrien de 1972 à 2004, décédé en 2017, a affirmé que Rifaat al-Assad, avec l’aide des membres des Brigades de défense, avait braqué la Banque centrale de Damas et s’était copieusement servi dans des palettes de billets de banque syriens et les 200 millions de dollars en liquide déposés par le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, avant de s’enfuir. Un témoignage finalement non retenu par les enquêteurs, selon lesquels ces affirmations relèvent de la simple « hypothèse ».

Ancien ministre des Affaires étrangères et vice-président de Hafez al-Assad (père de Bachar al-Assad, frère de Rifaat al-Assad et ancien président du pays), Abdel Halim Khaddam, ayant basculé en 2011 dans les rangs de l’opposition avant de décéder en mars 2020, a quant à lui prétendu que Rifaat avait reçu 300 millions de dollars en fonds publics dans le cadre d’un accord secret convenu avec son frère pour quitter le pays. Un récit en contradiction avec une précédente version produite Abdel Halim Khaddam, dans laquelle il évoquait la somme de 500 millions d’euros, mais également avec la version de Moustapha Tlass.

Motivations politiques ?

Lorsqu’il quitte le pays en 1984, Rifaat al-Assad est chassé par son frère, qui lui reproche d’avoir voulu orchestrer un coup d’Etat contre lui. Il gagne la France où, devenu opposant, il défend des idées libérales et milite pour une transition démocratique de la Syrie afin de mettre fin à la guerre civile. Un positionnement qui, conjugué à ses importantes ressources financières, en font un adversaire de taille pour le régime, mais également pour l’opposition syrienne, qui, à l’en croire, aurait tenté de le déstabiliser via les accusations dont Sherpa se serait fait la courroie de transmission. « J’ai une idée très précise de la raison pour laquelle ces gens cherchent à me déstabiliser. Ils ont échoué à prendre le pouvoir en Syrie. Ils craignaient mon retour », déclarait-il aux enquêteurs à l’époque.

Ainsi, Haytham Manna, porte-parole du Comité national syrien pour le changement démocratique, aurait avoué avoir contribué au lancement de la procédure contre Rifaat, en cheville avec Sherpa. A en croire les arguments présentés par la défense en première instance, « l’unique objectif de cette procédure était d’éloigner Rifaat al-Assad de la politique syrienne, au moment où il avait enjoint Bachar al-Assad de quitter le pouvoir pour mettre fin à la crise et était présenté comme une alternative à son neveu. » Le procès en appel qui s’ouvre ce mercredi devrait permettre de faire davantage la lumière sur cette affaire aux ramifications complexes.

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