L’affaire Gilles Huberson révèle ses zones d’ombre

Dans les milieux diplomatiques, l’affaire a fait grand bruit. Gilles Huberson, ambassadeur de France en Côte d’Ivoire est accusé, depuis quelques jours, de « violences sexistes et sexuelles ». Démis provisoirement de ses fonctions, il a été immédiatement remplacé par Jean-Christophe Bélliard et fait actuellement l’objet d’une enquête administrative. Une rapidité d’action qui interroge. Car si, de prime abord, l’affaire revêt une apparente simplicité, Le Monde, dans un article publié le 23 septembre, révèle des zones d’ombre.

« Un management dur mais sans distinction de genre » 

Saint-cyrien, Gilles Huberson a choisi, en sortie d’école, de servir dans la gendarmerie avant, en 1996, d’intégrer le Quai d’Orsay. Premier conseiller à l’ambassade de France en Malaisie entre 1999 et 2002 puis sous-directeur de la sécurité et responsable du centre de crise du Quai entre 2005 et 2007, il rejoint brièvement le privé, en tant que Directeur des affaires générales du groupe LVMH jusqu’en 2009. Après un poste de conseiller au ministère des Outre-mer, il devient détaché à l’ambassade de France à Bamako puis chef de la mission Mali-Sahel, dans le contexte tendu d’une grave crise politico-sécuritaire. Ambassadeur de France au Mali entre 2013 et 2016, il était, depuis 2017, ambassadeur de France en Côte d’Ivoire.

Au regard de l’importance de la diaspora ivoirienne en France et des relations historiques entre les deux pays, mais aussi du poids économique de la Côte d’Ivoire au sein de la CEDEAO, ce poste est, sans doute, le plus prestigieux du réseau diplomatique français en Afrique. Et pour la France, l’un des plus stratégiques. Gilles Huberson peut donc se targuer d’un passé de grand serviteur de l’État a priori irréprochable. Un personnage connu pour son bagout, son franc-parler et parfois son humour militaire, peu en phase avec les habitudes feutrées des diplomates. Les sources recueillies, anonymes mais vérifiées, assurent que Gilles Huberson aurait transposé le mode de commandement militaire… dans les salons des ambassades. Ce que confirment des élus consulaires, dans une tribune publiée le 25 septembre de Fraternité Matin, l’un des journaux plus lus du pays. S’ils reconnaissent que Gilles Huberson « puisse rabrouer avec vigueur une collaboratrice dont il juge le travail insuffisant », ils refusent d’y voir une quelconque forme de sexisme !

Un management « dur » et imposé par les circonstances, selon d’autres sources rapportées par Le Monde qui n’ont, elles non plus, pas le souvenir d’une quelconque tendance aux discriminations de genre.

Un management directif que la défense souhaite aussi replacer dans un contexte très particulier, celui de la guerre au Mali… Un pays qui traversait à l’époque une grave crise et avait sollicité le soutien militaire de la France. Donc un poste d’ambassadeur en zone de guerre, où les militaires et sécuritaires représentaient la majorité des personnels de l’ambassade. « Il faut confronter des propos de caserne avec une réalité de guerre », explique son avocat. En bref, Gilles Huberson n’aurait au Mali jamais vraiment troqué son uniforme militaire pour le costume de diplomate. Ce qui, au vu des bonnes relations entretenues avec les présidents Traore et Keita – puis Ouattara en Côte d’Ivoire – ne lui a jamais été reproché.

Cette attitude « militaire » peut aussi s’expliquer par un contexte tendu, où les djihadistes multipliaient les attentats, comme celui du Radisson Blu, revendiqué par Al-Mourabitoune, affilié à Al-Qaïda, le 20 novembre 2015, ayant conduit à la mort de 19 civils et un miliaire. Dans le même temps, les militaires de l’opération Barkhane tentaient, sur demande du gouvernement malien, de repousser les groupes armés islamistes dans le nord du pays. Hors du Mali, aucune plainte n’a d’ailleurs été déposée contre l’ambassadeur dans ses autres postes occupés, où les contextes moins explosifs ont sans doute permis un mode de management plus… diplomatique.

Sans minimiser ce que la tolérance zéro qualifie de violences sexistes, il convient sérieusement de s’interroger sur le contexte et la proportionnalité des choses…

Des accusations dénoncées sous serment par ses gardes du corps

Des supposées violences sexuelles, qui auraient pris la forme de gestes tendancieux, font aussi l’objet de suspicions. Mais certains témoignages viennent, là encore, renforcer les doutes existants. La situation sécuritaire au Mali avait en effet rendu nécessaire et obligatoire la présence, à ses côtés, de gardes du corps, chargés d’assurer sa sécurité et surtout, de maintenir avec lui, un contact visuel et auditif permanent. Aucun des faits et gestes de l’ambassadeur n’était supposé leur échapper.

« Je peux affirmer qu’à aucun moment nous n’avons été témoins d’un comportement ou d’une attitude déplacée de l’ambassadeur Gilles Huberson, encore moins de départ précipité d’invité, féminin comme masculin », affirme le major X, l’un des militaires chargés d’assurer la sécurité de l’ambassadeur. Les trois gendarmes, assermentés, ont affirmé n’avoir jamais constaté aucun manquement aux règles de déontologie pendant leur mission au Mali, discréditant de facto certaines allégations, comme le rapporte la défense, qui n’hésite pas à contre-attaquer en accusant de dénonciation calomnieuse (délit puni de 5 ans d’emprisonnement) les accusations portées contre l’ambassadeur.

En Côte d’Ivoire, l’indignation grandit

En Côte d’Ivoire, personne ne semble accorder un réel crédit à ces accusations. Et ce, même jusqu’au plus haut niveau du gouvernement. « Nous avons cru que c’était un motif politique », précise-t-on dans l’entourage du Président Ouattara. Venance Konan, journaliste et écrivain multiprimé, rappelle dans Fraternité Matin que l’enquête « n’a encore donné aucun résultat » et « qu’il y’a en France, comme dans la plupart des pays démocratiques, ce que l’on appelle la présomption d’innocence », suggérant qu’il est possible que tout cela soit juste « de la calomnie ».

Une pétition, lancée pour soutenir l’Ambassadeur, recueille déjà plusieurs dizaines de soutiens. « Contre la cabale et pour rétablir la réputation de ce grand ambassadeur » affirme Abdal Karim Ewaida, ambassadeur de Palestine à Bamako. Barbara dénonce « une accusation totalement infondée » et souhaite « témoigner de son respect en toute circonstance vis-à-vis des femmes ». D’autres souhaitent « que justice soit rendue à Gilles », ou évoquent « des non-dits dans cette affaire ». Dans Fraternité Matin, tous les élus consulaires apportent leur soutien à Gilles Huberson, saluant son engagement pour la diplomatie française et appelant au « respect d’un des principes fondamentaux des droits humains qu’est la présomption d’innocence ».

L’enquête administrative est encore en cours et n’a pas encore rendu ses conclusions. Les faits supposés restent, dans tous les cas, prescrits de longue date, comme le rappelle volontiers le Bâtonnier Pierre-Olivier Sur, avocat de Gilles Huberson, qui prend acte que « dans cette affaire il n’y a pas de pénal et il n’y aura pas de pénal… La procédure article 40 ne peut être mise en œuvre ».

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