Une journée ordinaire à la chambre financière du TGI de Paris

Mercredi 14 octobre 2020, au Tribunal de Paris, s’est réunie la 11ème chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance spécialisée dans les délits économiques et financiers. Il y a les grandes affaires, les grands scandales, ceux qui impliquent le personnel politique ou les dirigeants de multinationales. Et puis il y a tous les autres, simples citoyens, soupçonnés de fraude fiscale, d’escroquerie, d’abus de bien social, de blanchiment. Prévenus, ils se défendent. Plaignants, ils argumentent. C’est la justice au quotidien.

Ce mercredi d’octobre, la 11ème chambre financière du TGI se réunit. Avec ou sans leurs clients, les avocats de la défense et de la partie civile, le greffier, le procureur de la République sont là lorsque le Président et ses deux assesseurs font leur entrée. Tout le monde se lève. L’audience est ouverte.

Dans le box, M.Saolona, citoyen congolais demeurant en Suisse. Déjà condamné à un an de prison pour manœuvres frauduleuses et incarcéré, il fait opposition au jugement au motif qu’il n’a jamais reçu notification du mandat d’arrêt le concernant… Et demande un nouveau jugement sur le fond bien qu’il se présente sans avocat. Il est l’objet d’une plainte pour escroquerie déposé par M. L.T. dirigeant d’un site de vente et d’achat de vin. M. L.T. a besoin d’or et rentre en contact avec M.Saolona qui, fort de ses contacts en Afrique, affirme pourvoir lui en procurer. Et trouve de fait, auprès de la société Optim Gold, basée en Ouganda, un stock disponible de 700 kilos du précieux métal. Souhaitant tester le fournisseur, M. L.T. ne passe finalement commande que de 35 kilos et verse un premier paiement pour frais de 158.000 dollars à l’avocate suisse de M. Saolona. Problème, la cargaison d’or est bloquée en douane à Kampala et M.L.T. ne verra jamais son or arriver. M. Saolona prétend que, pour sa part, il n’a jamais touché l’acompte… Constatant que le prévenu n’a pas de revenus identifiés, le Tribunal confirme le jugement.

Pottiée-Sperry comparait libre. Il est accusé par la société de gestion immobilière Walch d’abus de biens sociaux et de faits de blanchiment. Alors qu’il était lui-même président de cette société jusqu’en 2014, M.Pottiée-Sperry se voit accusé d’avoir fait acquérir par la SAS Walch pour plus de 500.000 € d’œuvres d’art diverses auprès de l’association « Comité de Salut artistique » (CSA) dont lui-même était trésorier et dont il tirait les chèques nécessaires à ses achats. Dans quel but ? Améliorer l’attractivité de la société Walsh auprès de ses clients en « accrochant » des œuvres d’art dans ses locaux. Explication plutôt rocambolesque, l’objet social de la SAS étant d’administrer des biens immobiliers… En fait, à part quelques photos, pas de traces d’œuvres d’art au siège, celles-ci étant simplement conservées dans un entrepôt à Saint Ouen. Le procureur requiert une peine de 18 mois d’emprisonnement avec sursis, 50.000 € d’amende et le remboursement des 500.000 € « détournés ». « Mais les œuvres sont toujours propriété de la SAS, elles doivent être toujours à Saint Ouen, en tout cas, je ne sais pas où elles sont », se défend le prévenu dont les moyens de subsistance sont par ailleurs inconnus. Son avocat va bien au-delà : son client, ancien élève des Beaux-Arts, est un amateur frustré qui a voulu assouvir sa passion. Pas d’abus de bien social selon lui, puisque ce n’est pas la trésorerie de la société Walsh qui a servi à acquérir les œuvres d’art, mais les comptes mandants en déshérence (ceux des co-propriétés) que la société de gestion abritait. Pas d’abus, pas de vol, pas de détournement… Pas de partie lésée, ni de bénéficiaire, en somme ! Affaire mise en délibéré. Jugement mi-novembre.

J.N. Pontier affiche à la barre la prestance de l’avocat de classe internationale qu’il est. Face à lui, la partie civile est l’administration fiscale qui l’accuse de fraude fiscale. 37.000 € déclarés en 2013 pour un bénéfice imposable de 106.000, 93.000 déclarés l’année suivante au lieu de 300.000. La fraude parait constituée même si le prévenu a déjà payé au fisc près de 250.000 € de pénalités. En fait, M. J.N. Pontier, avocat au statut d’indépendant travaillant pour le compte d’un grand cabinet, n’a déclaré que la partie fixe de ses revenus alors que la partie variable, déposée sur un compte à Londres, ne l’a pas été. Selon la défense, il n’y a pas d’intention frauduleuse. Il a déposé sur son compte londonien – ouvert il y a de nombreuses années lorsqu’il était domicilié dans la capitale britannique – ses revenus variables dans l’attente que les dossiers à l’origine de la rémunération soient bouclés, cela afin de déclarer au fisc des sommes exactes au moyen de formulaires rectificatifs effectivement prévus par le fisc. Il ne conteste pas l’erreur, ni les retards, mais conteste la fraude. Le procureur demande un an de prison avec sursis, sans amende. Affaire mise en délibéré. Jugement rendu mi-novembre.

La dernière affaire d’une longue journée, abordée à 19h30, oppose M. Lépine, chef d’entreprise, à M. Pelat. Un conflit de longue date oppose ces deux anciens associés. L’affaire est singulière : M. Lépine a mis en œuvre une procédure exceptionnelle, qui permet à toute personne d’assigner directement une autre devant le tribunal correctionnel sans passer par la case Procureur ou Juge. Il reproche à M. Pelat d’avoir dénoncé à la brigade financière en 2014 des faits qui lui ont valu d’être poursuivi par le Parquet de Paris, mais dont il a été relaxé par le tribunal pour motif de prescription. En cause : la cessation d’actions de la société Innoveox en 2011 par IH Group (dont M. Pelat était créancier), alors au bord du dépôt de bilan, au profit de Jean-Christophe Lépine – son gérant et principal associé – pour un montant de 80.000 euros. Il s’avère que M. Lépine était aussi le dirigeant et associé d’Innoveox. Or, à la même époque, Jean Christophe Lépine vendait le même nombre d’actions pour 2,1 millions d’euros. Selon lui, le prix payé par les investisseurs était déconnecté de la valeur de cette société spécialisée dans le traitement des déchets. Raisonnement visiblement démenti par les deux promoteurs entendus par les enquêteurs. Pour l’un d’eux, le gérant d’IH Group recherchait surtout un « enrichissement personnel ». Dernière carte de Jean-Christophe Lépine : cette cession de 2011 était prévue dans un accord signé entre lui-même… et lui-même… Pour l’avocat de M. Pelat, il s’agit manifestement d’un faux. L’accusé présente son combat comme celui des « petits » contre les « grands ». Mais les petits ne sont pas forcément blancs comme neige. Car Jean-Christophe Lépine a déjà été condamné en 1993 à deux ans de prison ferme avec mandat d’arrêt pour escroquerie, faux et usage de faux. Son avocat lui demande d’en expliquer les raisons : erreur de jeunesse plaide-t-il. Un argument qui est loin de convaincre l’avocat de M. Pelat, qui rappelle que Jean-Christophe Lépine a par ailleurs causé trois faillites, qui lui ont valu une interdiction de diriger, et qu’il est accusé par son dernier associé d’avoir fabriqué et produit un faux dans le litige les opposant. « Le sort s’acharnerait donc », plaide ironiquement l’avocat de M. Pelat avant de conclure ne pas retirer un mot à la dénonciation. Affaire mise en délibéré, le jugement sera rendu le 23 novembre.

Pour découvrir les délibérés de ces différents jugements, découvrez le deuxième article de notre reportage ! 

Daniel Vigneron

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