Afrinic, une super cour panafricaine ?

Un contentieux entre le Registre Internet Régional (RIR) Afrinic et un fournisseur d’accès à internet (FAI) partenaire pose l’épineuse question de la gestion des adresses IP en Afrique. Entre statut monopolistique abusif, surveillance accrue des partenaires et utilisateurs et corruption à outrance, bienvenue dans la saga Afrinic.

Abus de pouvoir

Afrinic (African Network Information Center) est l’un des cinq Registres Internet Régionaux (RIR) mondiaux. Cette organisation à but non lucratif, enregistrée à l’île Maurice, est responsable de la gestion et de la distribution d’adresses IP et de numéros de systèmes autonomes (ASN), pour l’Afrique et l’Océan Indien. Un statut monopolistique lui permettant d’assurer sa mainmise sur des millions d’utilisateurs et ses membres associés (les FAI), sans aucun contrôle d’organisme de réglementation. Face à cette alternative unique, les membres n’ont d’autre choix que de se conformer à la politique d’Afrinic, de peur de perdre leur accès à Internet. Notons par ailleurs qu’Afrinic est la seule société ne possédant pas de transfert inter-RIR.

Le registre prétend en outre avoir le pouvoir d’approuver chaque client d’une entreprise – une opération pourtant inefficace et coûteuse – et limiter le lieu de service d’une entreprise à 55 pays. Or, internet a une couverture globale et ne devrait pas être limité à certains pays, sous prétexte d’être rattaché à une entité d’enregistrement particulière. Les adresses IP sont internationales et ne doivent pas, par conséquent, être cloisonnées à une zone géographique particulière.

Bataille judiciaire

Sous le mandat d’Eddy Kayihura, Afrinic cherche à devenir une sorte de « super cour » panafricaine, capable d’encadrer la distribution des IPs. En prétextant par exemple avoir le pouvoir de surveiller les utilisateurs, exigeant dès lors que les adresses IP ne soient pas utilisées à des fins illégales, Afrinic se réserve le droit de décider ce qui est légal ou non. Et cela en toute impunité. C’est d’ailleurs tout l’enjeu d’un litige commercial, transformé en bataille judiciaire, entre Afrinic et Cloud Innovation, une société enregistrée aux Seychelles.

C’est en 2020 que le conflit éclate avec ce fournisseur, après qu’Afrinic ait déclaré que son partenaire violait le Registration Service Agreement pour permettre l’utilisation d’adresses IP en Chine et pas uniquement en Afrique. Les adresses sont alors demandées par le registre, entraînant un conflit juridique, devant être statué par la Cour Suprême mauricienne. Pour le fournisseur, la réalité de cette affaire est toute autre. Il précise que la clause mentionnée par Afrinic concerne uniquement l’adhésion au registre et non l’utilisation des ressources, et que rien n’indique que les membres soient circonscrits à une seule zone géographique.

Une société corrompue ?

Ce n’est pas la première fois qu’Afrinic se retrouve au cœur de polémiques. En 2016, Ron Guilmette, chercheur en cybersécurité, avait alerté l’organisation d’un vol d’adresses IP. Un ancien dirigeant, Ernest Byaruhanga, avait alors été pris en flagrant délit de vol de données IP. Au total, ce sont plus de 4 millions d’adresses qui auraient été substituées à leurs propriétaires et louées sur le marché noir. Néanmoins, il paraît peu probable qu’il ait été le seul à avoir opéré une telle activité, compte tenu du nombre d’adresses escroquées.

L’affaire n’éclate pourtant qu’en 2019, et conduit le registre à nommer un nouveau directeur général, Eddy Kayihura. C’est sous son impulsion qu’Afrinic entreprend alors un audit de ses membres. Malgré tout, deux ans après les faits, la société n’est toujours pas inquiétée.

Si les ressources internet sont essentielles, les organisations qui les gèrent et les distribuent ne sont pas irremplaçables. Le continent africain se porterait mieux à déléguer la gestion des adresses IP à un autre organisme, fonctionnant comme un véritable registre et non comme une super cour panafricaine.

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