La justice est-elle indépendante en France ? Le cas Moukhtar Abliazov

Indépendance justice, Moukhtar Abliazov

Poursuivi pour détournement de fonds dans son pays d’origine, l’homme d’affaires kazakhstanais Moukhtar Abliazov vit aujourd’hui en France, où il s’est vu accorder le statut de réfugié politique. Dans le même temps, il fait l’objet d’une mise en examen par la justice française. Le 30 avril 2021, il a donné au quotidien Le Monde un entretien dans lequel il dénonce une cabale politique menée par les autorités françaises. Non sans approximations et contrevérités.

Rappelons d’abord les faits : entre 2005 et 2009, Moukhtar Abliazov a présidé le conseil d’administration de BTA, troisième plus grande banque du Kazakhstan, dont il était propriétaire à plus de 70 %. Condamné par contumace pour avoir détourné des fonds à hauteur de 7 milliards de dollars, il a entamé depuis un long exil qui l’a vu s’installer au Royaume-Uni, avant de poser ses valises en France. Entre temps, il s’est vu condamné à verser 4 milliards de dollars de dommages et intérêts à BTA par un tribunal britannique, décision à laquelle il a refusé de se soumettre. Pas moins de trois pays réclament aujourd’hui son extradition, en lien avec ce détournement de fonds d’ampleur gigantesque.

C’est désormais à la justice française de se pencher sur le cas Abliazov. En vertu d’une disposition du Code pénal (article 113-8-1) qui évite que les personnes ayant commis des infractions restent impunies, les autorités françaises sont en effet compétentes pour juger l’affaire. Appliquant ce principe du « extrader ou juger », une juge d’instruction française, Cécile Meyer-Fabre, saisie par le Parquet de Paris, a décidé de mettre en examen l’ancien oligarque pour « abus de confiance aggravé » et « blanchiment d’abus de confiance aggravé ».

Accusations infondées contre le Président de la République

Dans l’entretien qu’il a accordé au Monde, M. Abliazov accuse l’État français d’être derrière cette mise en examen, prêtant à Emmanuel Macron la volonté de complaire aux autorités kazakhstanaises. Il met en avant les intérêts économiques qui auraient poussé l’Élysée à « téléguider » la justice pour provoquer son extradition. Des accusations qui ne s’appuient sur aucun élément tangible, sinon un courrier adressé par Kassym-Jomart Tokaïev à son homologue français, courrier dans lequel il est fait mention du « problème » Abliazov.

Voilà douze ans que M. Abliazov se présente comme un réfugié poursuivi par les autorités de son pays, pour des raisons purement politiques. Problème : celui qui se dit chef de file de l’opposition semble n’avoir aucun soutien officiel au sein des partis d’opposition au Kazakhstan, si l’on en croit leurs prises de parole sur les réseaux sociaux. Enfin, le mouvement DVK qu’il a créé a été reconnu comme extrémiste suite à des émeutes insurrectionnelles, tout comme son nouveau mouvement « Koshe partiassy ». Capitalisant sur la sympathie dont jouit un Alexeï Navalny auprès des opposants à Vladimir Poutine (et sur une certaine confusion entre les pays issus de l’ancien bloc soviétique), Abliazov joue volontiers la carte de l’opposant persécuté.

Le Monde tend à accréditer cette thèse en choisissant de lui accorder ce statut dans le titre de son article, là où on aurait aussi bien pu parler de criminel financier en cavale. « Abliazov crie au complot contre toutes les juridictions qui décident de le poursuivre » précisent les avocats de la banque BTA. «Il a mené la même campagne de communication au Kazakhstan, en Russie, au Royaume-Uni, aux États-Unis et maintenant en France. Si d’aucuns pouvaient croire qu’Abliazov était crédible au début, ce n’est plus sérieux aujourd’hui».

Justice indépendante

En ce qui concerne le droit, et les soupçons portés à l’égard du Président de la République, il convient de rappeler que la justice, en France, est indépendante. En aucune manière l’Élysée n’a pu intervenir auprès de Cécile Meyer-Fabre dans sa décision de mise en examen. Tout comme le chef de l’État n’a pas eu son mot à dire sur la décision, prise par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) après un refus initial de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), d’accorder à M. Abliazov le statut de réfugié.

Que ces décisions aient pu être prises sans que cela se traduise systématiquement en la défaveur de l’homme d’affaires étranger prouve d’ailleurs l’indépendance des juridictions chargées de statuer, dans un cas comme dans l’autre. En tout état de cause, il ne saurait y avoir de contradiction entre des décisions qui ressortent, pour l’une, du droit administratif, pour l’autre du droit pénal. Sollicité par Le Monde, le Tribunal de Paris indique que « la procédure suit son cours normal ».

De leur côté, les avocats de la banque BTA précisent que « sur le fond des accusations, M. Abliazov n’a étonnement rien à dire ». Selon eux, BTA « espère uniquement recouvrer l’argent détourné ».

 

 

 

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